Aller au contenu

Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
MIRABEAU.

son d’Amsterdam ou au donjon de Vincennes, sa table de travail est une tribune sur laquelle il se penche, la barre d’un tribunal sur laquelle il s’accoude. Comme l’acteur qui répète son rôle, il se promène à grands pas dans sa chambre, s’arrêtant, s’asseyant de temps en temps, se relevant, s’arrêtant encore pour écrire. Si le mot lui plaît, il le répète, l’écoute et en prolonge l’écho. S’il avait un miroir devant lui, il s’y regarderait sans rire ; car il ne connaît pas cette peur de soi-même et des autres qui gêne les esprits timides. Comme les gens de son pays, il n’a ni le sentiment de ce qui est excessif, ni la conscience de ce qui est ridicule. Il n’a jamais pensé que sa lettre à l’amant de sa femme pût sembler comique à personne, ou que les coups de parasol du Bastidon de Moùans pussent prêter à rire à qui que ce fût. Tout ce qui le touche prend à ses yeux des airs d’importance et de grandeur. Il peut ainsi ne rien perdre de lui-même, se montrer tout ce qu’il est, donner tout ce qu’il a dans la tête et dans le cœur….

Un cœur généreux, malgré tout ! plus ardent que tendre ; sincère et changeant à la fois ; sans rancune et sans fiel ; où l’amour de soi ne tenait pas toute la place, et que les fureurs d’un tempérament insatiable n’avaient pas avili sans retour. Une tête puissante où trônait une raison souveraine, et que des passions désordonnées menaient, de faute en faute, aux pires extrémités ; image bizarre de ce que pourrait être, dans la politique qu’il avait rêvée, une