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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/63

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MIRABEAU.

il ne lui en fallait pas tant pour se croire un grand capitaine. « Ce que je suis le plus né, a-t-il écrit plus tard, c’est homme de guerre. J’ai reçu de la nature un coup d’œil excellent et rapide. Il n’est pas un livre de guerre, dans aucune langue vivante ou morte, que je n’aie lu…. Je puis montrer des mémoires de moi sur toutes les parties du métier, depuis les plus grands objets de la guerre jusqu’aux détails de l’artillerie, du génie et des vivres. » Un rapprochement qui me vient à la mémoire donne à ces prodigieuses vanteries toute leur saveur. En 1769, précisément à l’époque où ce grand guerrier de dix-huit ans faisait, en Corse, l’essai de son génie, tout près de lui, dans une modeste maison d’Ajaccio, Napoléon Bonaparte venait de naître !…

L’expédition de Corse fut l’unique campagne de Mirabeau. Au mois de mai 1770, il revenait en France et il allait passer tout l’été en Provence, où son oncle le bailli vivait retiré. Au bout de quelques jours, le vieux commandeur est étourdi, subjugué : « S’il n’est pas pire que Néron, il sera meilleur que Marc-Aurèle ; car je ne crois pas avoir jamais trouvé tant d’esprit ;… ou c’est le plus grand persifleur de l’univers, ou ce sera le plus grand sujet de l’Europe pour être pape, ministre, général de terre ou de mer, chancelier, et peut-être agriculteur ».

En effet son neveu lui a parlé de tout avec le même aplomb et la même adresse, flattant ses idées, caressant ses souvenirs ; tantôt exaltant la gloire des grands marins, tantôt professant que « l’ordre