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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/89

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MIRABEAU.

incomparable, plaidant une cause où se joue toute sa vie ; c’est le cri de la chair qui pâtit, de l’intelligence qui étouffe, de l’âme qui, se sentant peu à peu dégrader et avilir, se redresse sous la main du geôlier et se relève vers la liberté.

Quant aux Lettres à Sophie, ceux qui, sur la foi d’une légende surannée, y cherchent seulement des images licencieuses et des excitations dépravées, doivent éprouver, en les lisant, quelque mécompte. Non pas que cette correspondance fameuse soit un modèle de chasteté. On y trouve, à souhait, des tableaux dont le réalisme scrupuleux ne laisse rien dans l’ombre ; mais nous sommes aujourd’hui blasés sur ces hardiesses ; et, chaque matin, nos romans à la mode nous en montrent, dans une seule page et dans un seul jour, cent fois plus que ne le fait, en quatre années, le calendrier de ces orageuses amours. Vice pour vice, j’aime mieux les emportements juvéniles de ce Provençal de vingt-huit ans, violent et robuste, arraché brusquement des bras de sa maîtresse, que l’érotisme laborieux de ces écrivains tranquilles qui, aux dépens du public et au profit de leur renommée d’un jour, arrangent à loisir, dans des pages lucratives, leurs savantes lubricités.

Ce qui serait, à la charge de Mirabeau, un crime sans excuse, ce serait d’avoir livré lui-même au public les secrets de ces ardentes intimités ; mais malgré quelques incertitudes, il ne paraît pas que sa mémoire doive rester entachée de cette félonie. C’est assez que, dans des dialogues composés à loisir, il