Aller au contenu

Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
MIRABEAU.

place que Dieu laisse vide. La pensée humaine est un accident dont l’anatomie n’a pas encore reconnu la cause ; l’âme de l’homme, une entité animale perdue dans l’ensemble de cette immense zoologie où tous les êtres vivants se confondent. « La nature songe aux espèces, et s’occupe assez peu des individus. »

La morale de Mirabeau n’est guère plus sûre que sa métaphysique. À travers ses déclamations sentimentales, quelques grands mots vagues reviennent souvent ; « honneur," humanité, vertu » ; témoins incertains de cette conscience obscure ; jalons flottants d’une route mal tracée, où les traditions, les mœurs, les longues habitudes, les préjugés salutaires d’une grande civilisation ont, malgré lui, laissé leur trace. Mais quand il s’écarte un peu de ces lieux communs de pure convenance, quand, sous ces mots d’emprunt, il cherche le fond de sa pensée, il tombe à chaque instant dans de grands trous et perd pied dans des fondrières.

Son « humanité » ne va guère au delà de lui-même. L’intérêt seul est la règle de nos affections et la mesure de nos devoirs : « Les noms de père, de frère et de sœur ne sont que des mots ; et les liens du sang sont très chimériques…. De bonne foi, le hasard qui, de la conjonction de ma mère et d’un homme quelconque, fit naître un individu, m’impose-t-il beaucoup de devoirs ? »

Cette « conjonction », cependant, l’a fait gentilhomme ; et sans cesse il le rappelle. Mais ce gentil-