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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/95

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MIRABEAU.

beaucoup d’audace, et une âme très énergique ; avec cela, on trouve sa place. On me disait, il n’y a pas longtemps, que j’étais fait pour jouer un rôle. Oui, j’étais fait pour cela ; et certes, je le sais mieux qu’eux, qui ne connaissent de moi que la raboteuse surface d’un jeune homme longtemps fougueux et aujourd’hui cabré par l’infortune. Mais ils n’ont pas voulu de moi quand j’ai voulu d’eux. Eh bien ! qu’ils aillent au diable ! Je leur dis à tous qu’ils ne savent pas quel cœur ils déchirent, quel homme ils dédaignent, et qu’ils n’en connaîtront jamais le prix…. La politique, dont je faisais mon étude, me dégoûte. Je ne puis supporter que les hommes fassent tant de sacrifices et commettent tant de crimes pour des intérêts qui me paraissent si petits…. »

À quoi tiennent les destinées ! Lorsqu’aux premiers jours de sa captivité, Mirabeau écrivait ces lignes hautaines et notifiait à la politique ce congé dédaigneux, il était peut-être sincère. Si on l’avait laissé libre, livré à ses passions, à ses vices, aux emportements d’une jeunesse avide de tous les hasards et de tous les dangers, il se serait lui-même détruit en peu de temps, sans autre éclat que le bruit vite oublié de quelques équipées scandaleuses. Mais, en l’arrachant à cette vie d’aventures, en le condamnant à penser seul pendant plus de trois années, à mesurer ses forces et à creuser lentement son génie ; en faisant peser sur cet otage dangereux les abus d’un pouvoir caduc qui, malgré ses forte-