Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/229

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nis, le spectateur est affligé qu’ils ne le soient pas : quand il ne peut en accuser le poète, toujours obligé de se conformer à l’histoire, c’est alors, si je puis parler ainsi, l’histoire elle-même qu’il accuse ; et il se dit en sortant,

Faisons notre devoir, et laissons faire aux dieux.

Aussi dans un spectacle qui laisserait plus de liberté au poète, dans notre opéra, par exemple, qui n’est d’ailleurs ni le spectacle de la vérité ni celui des mœurs, je doute qu’on pardonnât à l’auteur de laisser jamais le crime impuni. Je me souviens d’avoir vu autrefois en manuscrit un opéra d’Atrée, où ce monstre périssait écrasé de la foudre, en criant avec une satisfaction barbare,

Tonnez, dieux impuissants, frappez, je suis vengé.


Cette situation, vraiment théâtrale, secondée par une musique effrayante, eût produit, ce me semble, un des plus heureux dénouements qu’on puisse imaginer au théâtre lyrique.

Si dans quelques tragédies on a voulu nous intéresser pour des scélérats, ces tragédies ont manqué leur objet ; c’est la faute du poète et non du genre. Vous trouverez des historiens même qui ne sont pas exempts de ce reproche ; en accuserez-vous l’histoire ? Rappelez-vous, monsieur, un de nos chefs-d’œuvre en ce genre, la Conjuration de Venise de l’abbé de Saint-Réal, et l’espèce d’intérêt qu’il nous inspire, sans l’avoir peut-être voulu, pour ces hommes qui ont juré la ruine de leur patrie ; on s’afflige presque après cette lecture