Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/130

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ple, qui, trop prompt à se répandre dans la nation, détruit tous les bons sentiments par l’estime donnée à l’abondance illicite, dont les avantages couvrent de mépris et d’opprobre le désintéressement, la simplicité, les mœurs et toutes les vertus.

Gardons-nous d’augmenter le trésor pécuniaire aux dépens du trésor moral : c’est ce dernier qui nous met vraiment en possession des hommes et de toute leur puissance, au lieu que par l’autre on n’obtient que l’apparence des services ; mais on n’achète point la volonté. Il vaut mieux que l’administration du fisc soit celle d’un père de famille, et perde quelque chose, que de gagner davantage et être celle d’usurier. Laissons donc la recette en régie, dût-elle rapporter beaucoup moins ; évitons même de faire de cette régie un métier, car ce serait presque le même inconvénient que de la mettre en ferme. Ce qui rend le plus pernicieux un système de finance, c’est le financier : rien de pire que ce modèle ; il ne faut point de publicains dans l’État. Au lieu de faire de la régie des recettes et des revenus publics un métier lucratif, il en faut faire, au contraire, l’épreuve du mérite et de l’intégrité des jeunes citoyens ; il faut que cette régie soit, pour ainsi dire, le noviciat des emplois publics et le premier pas pour parvenir aux magistratures. Ce qui m’a suggéré cette idée est la comparaison de l’administration de l’Hôtel-Dieu de Paris, dont chacun connaît les déprédations et le brigandage, avec celle de l’Hôtel-Dieu de Lyon, qui offre un exemple d’ordre et de désintéressement qui n’a peut-être rien d’égal sur la terre. D’où vient cette différence ? Les Lyonnais, en eux-mêmes, valent-ils mieux que les Parisiens ? Non ; mais à cet office d’administrateur on est tenu de passer, et il faut