Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/133

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Si l’on ne fait que mettre des impôts sur les objets de luxe, fermer ses ports au commerce étranger, supprimer les manufactures, arrêter la circulation des espèces ; on ne ferait que jeter le peuple dans la paresse, la misère, le découragement : on fera disparaître l’argent sans multiplier les denrées, on ôtera en réforme de la fortune sans rétablir celle du travail.

Toucher au prix des monnaies est encore une mauvaise opération dans une République ; premièrement, parce que c’est alors le public qui se vole lui-même, ce qui ne signifie rien du tout ; en second lieu, parce qu’il y a entre la quantité des signes et celle des choses une proportion qui en règle toujours de même la valeur respective, et que, quand le prince veut changer les signes, il ne fait que changer les noms, puisque alors la valeur des choses change nécessairement en même rapport. Chez les rois c’est autre chose, et quand le prince hausse les monnaies il en retire l’avantage réel de voler ses créanciers.

Mais, pour peu que cette opération se répète, cet avantage se compense et s’efface par la perte du crédit public. Établissez alors des lois somptuaires, mais rendez-les toujours plus sévères pour les premiers de l’État, relâchez-les pour les degrés inférieurs ; faites qu’il y ait de la vanité à être simple, et qu’un riche ne sache en quoi se faire honneur de son argent. Ce ne sont point là des spéculations impraticables ; c’est ainsi que les Vénitiens, n’accordant qu’à leurs nobles le droit de porter leur gros vilain drap noir de Padoue, font que les meilleurs citadins tiennent à honneur d’avoir la même permission.

Quand il y a de la simplicité dans les mœurs, les lois agraires sont nécessaires, parce qu’alors le riche, ne pou-