Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/132

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trouver entre ces deux espèces de contribution, sitôt que cette proportion s’altérera, sera à même d’apercevoir sur-le-champ cette altération, d’en chercher la cause et d’y remédier. C’est ici la clef de notre gouvernement politique, la seule partie qui demande de l’art, des calculs, de la méditation. C’est pourquoi la chambre des comptes, qui partout ailleurs n’est qu’un tribunal très-subordonné, aura ici le timon des affaires, donnera le branle à toute l’administration, et sera composée des premières têtes de l’État. Quand les recouvrements en denrées passeront leur moyenne, et que ceux en argent n’atteindront pas à la leur, ce sera signe que l’agriculture et la population vont bien, mais que l’industrie utile se néglige ; il conviendra de la ranimer un peu de peur que les particuliers ne deviennent aussi trop isolés, trop indépendants, trop sauvages, ne tiennent plus assez au gouvernement. Mais ce défaut de proportion, signe infaillible de prospérité, sera toujours peu à craindre et facile à remédier. Il n’en sera pas de même du défaut contraire, lequel, sitôt qu’il se fait sentir, est déjà de la plus grande conséquence et ne peut être trop tôt corrigé ; car, quand les contribuables fourniront plus d’argent que de denrées, ce sera une marque assurée qu’il y a trop d’exportation chez l’étranger, que les arts lucratifs s’étendent dans l’île aux dépens de l’agriculture, que le commerce devient trop facile, et conséquemment que la simplicité et toutes les vertus qui lui sont attachées commencent à dégénérer. Les abus qui produisent cette altération indiquent les remèdes qu’il y faut apporter ; mais ces remèdes demandent une grande sagesse dans la manière de les administrer, car il est ici bien plus aisé de prévenir le mal que de le détruire.