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180 MORCEAU ALLÉGORIQUE

avec horreur le monstrueux mélange de meurtre et de prostitution. Tantôt on précipitait de tendres enfants dans des flammes de bois de cèdre, tantôt des hommes faits étaient immolés par la faux d’un vieillard décrépit. Des pères dénaturés plongeaient en gémissant le couteau dans le sein de leurs propres filles ; de jeunes personnes, dans une parure élégante et pompeuse qui relevait encore leur beauté, étaient enterrées vives pour avoir écouté la voix de la nature, tandis que d’autres étaient livrées en céré- monie à la plus infâme débauche, et Ton entendait à la fois, par un abominable contraste, les soupirs des mou- rants avec ceux de la volupté. « Ah! s’écria le philo-- sophe épouvanté, quel horrible spectacle I pourquoi mes regards en sont- ils souillés ? Hâtons-nous de quitter ce séjour infernal. — Il n’est pas temps encore, lui dit en le retenant l’être invisible qui lui avait déjà parlé ; tu viens de contempler l’aveuglement des peuples, il te reste à voir quel est en ce lieu \e destin des sages. » À l’instant, il aperçut à l’entrée du temple un homme exactement vêtu comme lui, et dont l’éloignement l’empêcha de dis- tinguer les traits. Cet homme, dont le port était grave et posé, n’allait point lui-même à l’autel, mais touchant sub- (ilement au bandeau de ceux qu’on y conduisait, sans y causer de dérangement apparent, il leur rendait l’usage de la vue. Ce service fut bientôt découvert par l’indiscré- tion de ceux qui le recevaient. Car la plupart d’entre eux voyant, en traversant le temple, la laideur des objets de son culte, ils refusaient d’aller à l’autel et tâchaient d’en dissuader leurs voisins. Les ministres du temple, toujours vigilants pour leur intérêt, découvrirent bientôt la source du scandale, saisirent l’homme voilé, le traînèrent au pied