Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/402

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376 * LETTRES INÉDITES.

par les lois de l’analyse des sorls, que quand la quantité des jets est infinie, la difficulté de Tévénement est plus que suffisamment compensée par la multitude des jets, et que par conséquent Tesprit doit être plus étonné de la’ durée hypothétique du chaos que de la naissance réeJle de Tunivers. — C’est, en supposant le mouvement nécessaire, ce qu’on n’a jamais dit déplus fort à mon gré sur cette dis- pute ; et, quant à moi, je déclare que je n’y sais pas la moindre réponse qui ait le sens commun, ni vrai, ni faux, sinon de nier comme faux ce qu’on ne peut pas savoir, que le mouvement soit essentiel à la matière. D’un autre côté, je ne sache pas qu’on ait jamais expliqué par le matéria- lisme la génération des corps organisés et la perpétuité des germes ; mais il y a cette différence entre ces deux po- sitions opposées, que, bien que l’une et l’autre me sem- blent également convaincantes, la dernière seule me per- suade. Quant à la première, qu’on vienne me dire que, d’un jet fortuit de caractères, la Henriade a été composée, je le nie sans balancer ; il est plus possible au sort d’amener qu’à mon esprit de le croire, et je sens qu’il y a un point où les impossibilités morales équivalent pour moi à une certitude physique. On aura beau me parler de rélemité des temps, je ne l’ai point parcourue ; de l’infinité des jets, je ne les ai point comptés ; et mon incrédulité, tout aussi peu philosophique qu’on voudra, triomphera là-dessus de la démonstration même. Je n’empêche pas que, ce que j’appelle sur cela preuve de sentiment, on ne l’appelle pré- jugé ; et je ne donne point cette opiniâtreté de croyance comme un modèle ; mais, avec une bonne foi peut-être sans exemple, je la donne comme une invincible disposition de mon âme, que jamais rien ne pourra surmonter, dont jus-