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PROJET DE CONSTITUTION

sont les troupes les plus sûres et les meilleures ; la véritable éducation du soldat est d’être laboureur. Le seul moyen de maintenir un État dans l’indépendance des autres est l’agriculture. Eussiez-vous toutes les richesses du monde, si vous n’avez de quoi vous nourrir, vous dépendez d’autrui ; vos voisins peuvent donner à votre argent le prix qu’il leur plaît, parce qu’ils peuvent attendre. Mais le pain qui nous est nécessaire a pour nous un prix dont nous ne saurions disputer, et dans toute espèce de commerce, c’est toujours le moins pressé qui fait la loi à l’autre. J’avoue que, dans un système de finances, il faudrait opérer selon d’autres vues ; tout dépend du dernier but auquel on tend. Le commerce produit la richesse ; mais l’agriculture assure la liberté.

On dira qu’il vaudrait mieux avoir l’une et l’autre ; mais elles sont incompatibles, comme il sera montré ci-après. Par tout pays, ajoutera-t-on, l’on cultive la terre. J’en conviens : comme dans tout pays on a du commerce, partout on trafique peu ou beaucoup ; mais ce n’est pas à dire que partout l’agriculture et le commerce fleurissent.

Je n’examine pas ici ce qui se fait par la nécessité des choses, mais ce qui résulte de l’espèce du gouvernement et de l’esprit général de la nation.

Quoique la forme de gouvernement que se donne un peuple soit plus souvent l’ouvrage du hasard et de la fortune que celui de son choix, il y a pourtant dans la nature et le sol de chaque pays des qualités qui lui rendent un gouvernement plus propre qu’un autre ; et chaque forme de gouvernement a une force particulière qui porte les peuples vers telle ou telle occupation.

La forme de gouvernement que nous avons à choisir