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Page:Roussel - Locus Solus, 1914.djvu/154

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Voltaire la regardait avec une angoisse indicible, qui répandit sur sa face jaune et parcheminée une teinte plus terreuse encore que de coutume. Une émotion terrible crispa ses traits, tandis qu’influencé par l’idiome sacré de la prière entendue il laissait échapper inconsciemment, ainsi qu’un répons, ce mot latin : « Dubito ».

Son doute s’appliquait manifestement à ses propres théories sur l’athéisme. On eût dit qu’une révélation de l’au-delà s’opérait en lui à la vue de l’expression extra-humaine prise par la jeune fille en prière et qu’aux approches de la mort, forcément imminente à son âge, une terreur des châtiments éternels s’emparait de tout son être.

Cette crise ne dura qu’un instant. L’ironie crispa de nouveau les lèvres du grand sceptique, et la phrase commencée s’acheva sur un ton mordant.

Mais la secousse avait eu lieu, et Frédéric n’oublia jamais sa courte et précieuse vision d’un Voltaire éprouvant une émotion mystique.