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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/340

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jamais toucher les branches de l’arbre.

S’il tombe de la rosée, elle se fixe contre cette toile, & ne pénètre pas au-delà, ou du moins en si petite quantité qu’on peut la compter pour rien. Si dans cette saison le contraste des vents détermine la gelée, le froid glace l’humidité sur la toile & les fleurs ou les jeunes fruits n’en souffrent pas. L’expérience prouve tous les jours que le froid étant même de deux à trois degrés, la fleuraison des arbres à plein vent n’est point dérangée, 1°. s’il règne un courant d’air qui dissipe l’humidité ; 2°. si les rayons du soleil ne frappent pas sur les fleurs & sur les fruits lorsqu’ils sont chargés d’humidité. C’est le contraste du froid & de la chaleur qui fait périr les fleurs & les feuilles presque dans un seul instant, parce que la chaleur excite subitement une plus grande évaporation, & que cette plus grande évaporation ne peut avoir lieu sans augmenter l’intensité du froid, ce qui est prouvé par une infinité d’expériences chimiques trop longues à rapporter ici. (Voyez le mot Froid)

L’arbre placé entre le mur & la toile, n’est presque chargé d’aucune humidité ; l’évaporation du peu qui y existe est lente & modérée, attendu que les rayons du soleil pénètrent jusqu’à l’arbre, seulement en très-petit nombre, & après avoir été divisés par les fils de la toile, en sorte que cet arbre est dans la même position que l’arbre à plein vent pendant la gelée, & lorsqu’il règne un grand courant d’air sans humidité.

Je regarde en outre l’usage de ces toiles comme très-avantageux dans nos provinces du nord, même quand on ne craint pas ces désastreuses gelées. La chaleur (voyez ce mot) du jour est bien supérieure à celle de la nuit ; cette alternative trop marquée s’oppose, jusqu’à un certain point, à la succession non interrompue de l’ascension de la sève, sur-tout dans les pêchers, arbres très-délicats : ces toiles retiennent en partie entr’elles & le mur la chaleur qui s’y étoit concentrée, de manière que les impressions de la fraîcheur de la nuit ne sont pas si actives, & par conséquent la continuité de l’action de la sève moins ralentie. Cette opération ne tient point à l’enthousiasme, au raffinement ou à la métaphysique de l’arbromanie : l’expérience démontre ses avantages & prouve qu’il est très-avantageux de laisser les toiles en place depuis le moment que l’arbre ouvre ses premiers boutons jusqu’à ce que le fruit soit aoûté. Que l’on répète cette expérience, & on en jugera. L’air n’est point intercepté, puisque le courant est établi entre le mur & la toile, & chaque fil croisé laisse en outre, entre lui & son voisin, un petit passage, & ces passages sont multipliés à l’infini ; la lumière, point de la plus grande importance, n’est pas interceptée, elle est modérée tout au plus, mais non pas au point de produire l’étiolement le plus léger.

Je conviens que le premier achat de semblables toiles sera dispendieux, qu’elles s’useront, &c. mais l’amateur, qui regarde la jouissance de ces arbres comme un trésor, ne plaindra pas la dépense si elle produit ce qu’il en attend : si on la fait peu à peu, on s’en appercevra moins, & chaque année on aura soin de renouveler les plus mauvaises. Dans les provinces éloignées, & dans les campagnes distantes des grandes villes