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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1786, tome 7.djvu/260

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que j’habite, plusieurs cultivateurs font venir des émondeurs de quatre à cinq lieues des environs. C’est le foible de l’hmnme d’aimer à paroître instruit, d’avoir un talent que n’ont pas ses voisins ; & l’homme effronté & plein de jactance est toujours assuré de forcer l’opinion des sots. Que cet homme se présente donc dans un village où la récolte des olives ait manqué depuis quelques années par l’intempérie des saisons, il ne manquera pas de dire, c’est que vos arbres sont mal taillés ; si j’y mets la main je vous promets de bonnes récoltes. Il est cru sur sa parole, il taille, il abat beaucoup de bois, les saisons le favorisent, & voilà une méthode adoptée dans le pays. Qu’un provençal ou qu’un languedocien émondeurs se transportent dans une de ces deux provinces, il abandonnera son ancienne manière de tailler pour adopter celle du canton dont il est devenu citoyen. L’un & l’autre tiendront à leur marotte, & pour peu que leur travail soit couronné par le succès, ces hommes donneront le ton au pays parce qu’on n’y travaille pas d’après des principes démontrés, mais par routine.

Des pratiques locales augmentent encore la bigarrure de la main d’œuvre. Ici la taille de l’olivier est confiée aux bergers qui sont devenus tailleurs d’arbres, sans doute par l’imposition des mains. Il est bon d’observer que ces bergers ont des troupeaux de cent cinquante bêtes sur lesquelles il y en a au moins quarante qui leur appartiennent en propre. Il leur importe, de préférence à l’intérêt du maître, que leurs brebis & leurs agneaux trouvent une ample nourriture ; en conséquence qu’ils abattent autant de branches qu’ils peuvent, bonnes ou mauvaises ; cela est fort égal pour eux. Ici l’émondeur reçoit le prix de sa journée en argent, par exemple, vingt sols, mais il lui revient chaque jour une branche qu’il emporte chez lui. Si dans la journée il ne s’en est présenté aucune assez grosse qui méritât d’être abattue, soit à cause de sa vétusté, soit parce qu’elle se trouvoit mal placée, il attaque une grosse & bonne branche. On évite cependant cet abus en lui payant cinq sols de plus, & il est alors tenu de ne point emporter de bois. Cette convention subsiste, si le propriétaire préside aux travaux ; mais s’il est absent l’ouvrier ne revient jamais les mains vides : on gagne néanmoins la conservation des mères-branches par cette convention.

L’abus est bien plus criant, plus scandaleux, lorsque l’on donne tout le bois de la taille à l’émondeur en échange de son travail. Il est clair & démontré jusqu’à l’évidence qu’un pareil marché est toujours au très-grand préjudice du propriétaire. Si celui-ci se plaint, se fâche, on lui répond par un adage vrai & juste, quant au fonds & qui est une maxime de la taille. L’arbre dit, fais-moi pauvre de bois, & je te ferai riche d’huile. L’oracle a parlé, il faut se taire.

Quelle conséquence doit-on tirer des exemples & des abus qu’on vient de citer, & dont on pourroit multiplier le nombre à l’infini ? La voici : l’olivier se couvre chaque année d’une quantité prodigieuse de fleurs ; elle va à l’infini dans l’année qui suit celle de la taille : ainsi quelle que soit la méthode suivie, la récolte sera abondante si la saison la favorise ; preuve convaincante de la fécondité de cet arbre ; preuve plus convaincante encore que la récolte n’est pas alterna-