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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/717

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des plantations dans des terrains qui ne pouvoient plus donner d’autres productions, parce que les arbres étoient trop rapprochés. J’en ai vu d’autres arracher des noyers pour les remplacer par des mûriers. Voilà le plus mauvais système qu’on puisse imaginer. Un noyer dans toute sa force vaut dix mûriers pour le produit ; & dans un ménage, l’huile est bien plus nécessaire que la soie.

On peut me dire que l’usage de la soie est très-commun ; que nous sommes obligés d’en faire venir de l’étranger. À cela je réponds, qu’il seroit à désirer que le luxe eût des bornes ; & alors la soie que nous récoltons pourroit suffire. Cependant il ne faut pas s’imaginer que la soie de France puisse remplacer dans nos fabriques l’organsin de Piémont, ni les belles soies de Nankin ; leurs qualités dépendent du climat. D’ailleurs, si nous retirons des soies de l’étranger, nous les renvoyons ouvrées dans toute l’Europe, ainsi que bien d’autres productions de notre sol.

Seroit-il avantageux de propager l’éducation des vers à soie dans les pays du nord de la France ? Observez que je n’attaque pas la possibilité de cette partie d’économie dans les pays que je viens de citer. Je crois que par les semis on pourroit élever des mûriers, & en quelque sorte les naturaliser au nord de la France comme au midi ; par conséquent on pourroit y faire des éducations de vers à soie. Mais il s’agit de savoir si cette partie économique seroit aussi avantageuse au nord comme au midi. Je ne le crois pas. Voici sur quoi j’établis mon opinion. Le mûrier est un arbre originaire des pays chauds ; en le propageant dans des pays froids, il exigera plus de soins, il sera exposé à plus de dangers, surtout à ceux de la gelée, dont les suites lui sont très-funestes. Le mûrier vient par-tout, dit-on ; cela est vrai ; mais il faut faire une grande différence entre végéter & prospérer, entre les feuilles provenant d’une bonne ou d’une mauvaise végétation. Le mûrier vient en Prusse comme en Provence & en Languedoc, mais il végète en Prusse & prospère en Provence.

La qualité de la feuille influe beaucoup plus sur la bonne éducation des vers à soie, que le climat où ils sont élevés. Par le secours de l’art, les vers à soie peuvent ressentir par-tout le degré de chaleur du climat d’où ils sont originaires ; cependant avec beaucoup moins d’avantage, parce qu’il faudra les tenir exactement renfermés dans les ateliers, afin de ne pas perdre la chaleur des poêles ; & alors l’air se vicie, n’étant pas renouvelé. Mais on ne peut pas remédier de même à la qualité de la feuille, dont la bonté dépend absolument du climat. La grande chaleur soutenue & sans pluie, qui règne dans les climats méridionaux, épure la sève ; la feuille du mûrier est nourrie paf des sucs plus raffinés, & le principe soyeux n’est point noyé dans une sève trop aqueuse. Dans les pays du nord au contraire, où les pluies sont fréquentes au printemps, & la chaleur très-douce, la végétation en général est belle, les feuilles du mûrier sont grandes, bien vertes, remplies de jus, parce que la sève est très-aqueuse, la chaleur étant trop foible pour faire évaporer en partie l’eau mêlée avec la sève. Il en est de même de tous les végétaux : les