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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/34

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seaux, et le laissant sécher dans cet état. »

Les Espagnols modernes suivent en ce point l’exemple qui leur a été transmis par leurs anciens maîtres. Nous avons vu employer les matières fécales à l’engrais des terres dans plusieurs parties de l’Espagne, sur-tout dans le royaume de Valence.

Dans la Catalogne, on les laisse fermenter dans les fosses d’aisances, ou dans des creux pratiqués à cet effet ; on y ajoute de l’eau pour les rendre plus liquides, pour en augmenter la quantité, et pour en diminuer l’activité : on s’en sert dans cet état pour arroser les champs et les jardins. Les cultivateurs, après avoir formé un sillon, et y avoir déposé à la main la semence, l’arrosent avec les matières fécales délayées ; ils tracent un second sillon en recouvrant le premier, et continuent ainsi successivement le travail jusqu’à ce que le champ soit entièrement ensemencé. Cette méthode est certainement excellente, et peut être appliquée avec beaucoup d’avantage, principalement aux semis de légumes qui se font en sillon, soit dans les jardins, soit dans les champs ; on arrose aussi les plantes lorsqu’elles sont en pleine végétation.

On puise la matière dans les fosses d’aisances, par le moyen de vases ou d’espèces de petits seaux emmanchés d’une longue perche. On la vide dans des comportes qu’on charge sur des bêtes de somme ou sur des charrettes ; ces comportes, fermées à leur partie supérieure comme le sont les tonneaux, ont, à cette partie, un rebord et un trou où est une bonde par laquelle on introduit la matière liquide. Lorsqu’on est arrivé sur le champ, on la verse dans des baquets, où l’on va la puiser pour les arrosemens.

On trouve, en Catalogne, dans chaque maison de cultivateurs, des fosses d’aisances disposées de manière à faciliter la préparation et l’extraction de l’engrais. La fosse communique ordinairement hors de l’habitation, et elle est recouverte par des planches qu’on peut enlever au besoin. On ramasse avec grand soin, dans chaque maison de Barcelonne, les matières fécales ; la charge d’un mulet se vend à raison de vingt sous ; la perte qu’on en fait en France est une honte pour notre agriculture, et tout cultivateur éclairé ne voit pas, sans étonnement, que les propriétaires de Paris et des autres villes de France soient contraints de payer, pour l’enlèvement de ces matières, une somme assez forte. Les règlemens de police de la ville de Paris ne permettent pas à un propriétaire de faire transporter sur sa terre les vidanges de sa maison ; il y a lieu d’espérer que l’on réformera, dans un siècle de lumière, des règlemens qui attentent à la propriété, et qui nuisent essentiellement à l’agriculture[1]

Les cultivateurs du royaume de Valence, qui ne sont pas moins industrieux que ceux de la Catalogne, ramassent avec soin des matières que nous laissons perdre avec profusion. Les latrines de Valence vont se vider dans des aqueducs, et, de là, tous les immondices se rendent dans une partie des fossés qui entourent la ville ; on y a pratiqué des divisions pour recevoir les matières liquides et leur donner le temps de rendre une certaine consistance ; c’est dans cet état que les cultivateurs les enlèvent, en payant un droit à la ville, ce qui produit un revenu assez considérable.

  1. La prohibition d’enlever les matières fécales, soit des maisons de Paris, soit de la voierie de Montfaucon où on les dépose, est d’autant plus attentatoire à la propriété, qu’on accorda aux cultivateurs des environs de Paris, la faculté de prendre ces matières en dédommagement du droit qu’ils avoient de parquer leurs troupeaux sur leurs terres ; droit qui leur fut ravi, lorsqu’on permit aux bouchers de conduire leurs moutons sur les champs, aux environs de la capitale.