Aller au contenu

Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ritent, car les écrits agronomiques des Grecs et des Romains n’annoncent point que, même de leur temps, l’art du pépiniériste fût une science, ni son résultat un objet de commerce de quelque étendue.

Ce n’est que dans l’avant-dernier siècle seulement qu’on a commencé à former ce qu’on doit appeler véritablement une pépinière, car nos pères n’ont eu aucune idée des pépinières forestières, ni de celles d’arbres étrangers pour l’agrément, et ils ne savoient pas même d’après quels élémens il falloit diriger celles des arbres fruitiers. Ces dernières, de leur temps, s’entretenoient par des sauvageons arrachés dans les forêts, et greffés avec les espèces qu’on possédoit déjà, sans s’inquiéter s’il y en avoit ou non de meilleures, et sans, pour ainsi dire, leur donner de culture.

Alors, quand on vouloit planter ou repeupler un bois, on semoit les graines sur place, souvent sans aucune préparation ; ou on arrachoit du jeune plant dans un lieu, pour le placer dans un autre.

Les avantages des grandes pépinières marchandes, telles qu’on en voit actuellement autour de Paris et autres grandes villes de France, d’Angleterre, et d’Allemagne, sont si nombreux et si faciles à saisir, qu’il n’est plus permis de les révoquer en doute. Le fécond principe de la division du travail, si bien développé dans ces derniers temps, leur est applicable dans toute son étendue ; c’est-à-dire qu’un homme qui se dévoue exclusivement à la culture des arbres, qui réfléchit pendant toute l’année sur la théorie et la pratique de l’art qui les a pour objet, doit faire plus économiquement, et mieux que celui qui s’en occupe seulement pendant de courts instans pris sur d’autres occupations ; aussi est-ce aux pépiniéristes qu’on doit l’abondance et le bon marché des bonnes espèces d’arbres à fruits, jadis si difficiles à se procurer, des arbres étrangers, autrefois si rares, et les arbres forestiers, que la plupart des non-propriétaires ne pouvoient se procurer que par des délits contraires aux lois de la police rurale.

Nous possédons, en ce moment, tous les élémens propres à assurer la réussite des établissemens de ce genre, et le gouvernement, dont l’influence est si puissante, les encourage de toutes les manières, et principalement par l’exemple, comme le prouve la pépinière d’arbres fruitiers du Luxembourg, celles d’arbres étrangers et forestiers de Versailles ; car il sait qu’ils sont un des plus puissans moyens de prospérité nationale ; aussi le goût des plantations s’étend-il avec une rapidité telle, qu’il y a lieu de croire que bientôt elles ne seront plus étrangères à aucune partie de la France, et qu’elles contrebalanceront les inquiétans effets de la destruction des bois de haute-futaie, dont on se plaint par-tout et avec raison.

Le lieu à choisir, pour établir une pépinière, est une plaine, ou le bas d’un coteau abrité du vent du nord et du nord-est, par une chaîne de montagnes, ou par un massif de grands arbres. Le terrain doit être profond, ni trop sec, ni trop humide, d’une fertilité moyenne, et même au dessous de la moyenne.

Il peut paroître paradoxal à beaucoup de personnes de choisir un terrain de cette nature, plutôt qu’un meilleur ; mais il est très-certain qu’il doit être préféré.

En effet, les bons terrains étant beaucoup moins fréquens que les autres, il est très-probable que les arbres qui y auront été élevés seront placés à demeure dans un sol inférieur en qualité ; or, il est d’observation que, dans ce cas, ils languissent pendant long-temps, puis dépérissent, et finissent souvent par mourir ; tandis que ceux enlevés d’un terrain médiocre, pour être plantés dans un meilleur, reprennent facilement, croissent avec rapidité, et deviennent beaucoup plus beaux.

Ce fait est fondé sur ce que, lorsqu’une plante se trouve, pendant les premières années de son existence, dans la situation la plus favorable à sa croissance, ses vaisseaux prennent une amplitude proportionnée à l’abondance de la sève qu’elle reçoit ; mais, si cette situation change en mal, ces mêmes vaisseaux, ne recevant plus la même quantité de sève, ne peuvent plus s’en remplir, ni porter, par conséquent, toute la nourriture nécessaire aux extrémités des rameaux.

Quelque évidens que soient, sous les deux rapports de la théorie et de la pratique, les inconvéniens de placer une pépinière dans des terres trop fertiles, la plupart des spéculateurs, dans cette partie, les recherchent, parce que la grande majorité des acquéreurs se laissent séduire par la belle apparence des arbres qui y ont crû, et ne savent point qu’elle est pour eux l’indice caché d’une non-réussite presque certaine. Je ne puis donc trop répéter qu’il faut se défier des pousses vigoureuses, des larges feuilles, des jeunes arbres achetés dans une pépinière, et qu’on doit toujours comparer la nature du terrain dont ils sortent avec celle de celui où l’on veut les mettre.