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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/399

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puisque chaque variété, greffée avec la même espèce, doit donner un arbre d’autant plus rustique, que cette variété s’approchera plus du sauvageon, et fournira du fruit d’autant plus beau et savoureux, qu’il s’en éloignera davantage.

Il est bon de remarquer ici que quelques arbres très-vieux, ceux qui ne présentent plus aucun vestige de canal médullaire, ne produisent plus de graines, quoiqu’ils se chargent abondamment de fruits. Cette circonstance, qui est un inconvénient dans le cas dont il est ici question, devient un avantage dans quelque autre : par exemple, on recherche beaucoup, et avec raison, les nèfles sans noyaux, les raisins, les épines-vinettes, sans pépins, etc. ; les pépiniéristes, en conséquence, font tous leurs efforts pour les fixer dans cet état par la greffe. Quelquefois ils réussissent à avoir des fruits sans semence, dès la première année du rapport ; d’autres fois il faut attendre plusieurs années ; mais, dans ce cas, le nombre de ces années est beaucoup moindre, que si l’arbre parvenoit à cet état par le seul effort de la nature.

Le plant, levé, n’a besoin, la première année, que d’être sarclé avec beaucoup de soin, et arrosé quelquefois dans les grandes sécheresses. Il est des pépiniéristes qui arrosent fréquemment leur semis pour l’avancer, disent-ils ; c’est ce qu’ils appellent pousser à l’eau. Le semis ainsi traité est en effet plus beau et plus vigoureux, en apparence, que celui qui n’a reçu que les eaux du ciel ; mais on le fait tomber par-là dans les inconvéniens de celui qui a été semé dans une terre trop grasse. Dès qu’on cesse de l’abreuver, et il faut bien en venir là, sa belle apparence disparoît, il languit et finit par mourir ; il faut donc se bien garder d’en agir ainsi, lorsqu’on veut travailler utilement pour soi ou pour les autres.

Quelques pépiniéristes laissent leur plant en place pendant deux ans ; mais cette méthode ne peut être tolérée que lorsqu’on manque de place pour le repiquer, ou lorsqu’on sème pour vendre le plant à d’autres pépiniéristes qui le veulent fort et à bon marché.

L’opération du repiquage se fait dans l’hiver ; quelques pépiniéristes le commencent plus tôt, d’autres plus tard. On se dispute depuis longtemps pour décider si les plantations hâtives sont plus avantageuses que les tardives ; mais il semble que c’est faute de s’entendre, et d’avoir fixé des époques, ou motivé des circonstances ; car, telle plantation faite cette année tel jour, ne réussira pas aussi bien, l’année suivante, le même jour, si la saison est plus avancée ou plus retardée ; si l’atmosphère est plus sèche ou plus humide ; le temps plus chaud ou plus froid ; si elle a lieu dans un terrain différent dans les mêmes cas, ou dans des cas différens dans un même terrain. Les combinaisons des influences directes ou indirectes qui agissent continuellement sur les végétaux, et qui se modifient les unes par les autres, ne permettent pas, en général, d’établir les opérations de l’agriculture sur des bases rigoureusement mathématiques ; on doit se contenter dans ce cas, comme dans ceux qui ont rapport à la santé de l’homme, de probabilités plus ou moins approximatives.

Or donc, je dirai que, depuis le jour où la chute des feuilles a indiqué, non la cessation de la sève, comme on le croit communément, mais son ralentissement, jusqu’à celui où le grossissement des boutons annonce qu’elle reprend une nouvelle activité, on peut planter les arbres fruitiers, toutes les fois que le temps est doux et humide, et qu’on doit s’y refuser, quand il est froid et sec. Ce qui milite le plus en faveur des plantations hâtives, c’est que la terre a le temps de se tasser autour des racines, et que les jours pluvieux de l’hiver favorisent ce tassement ; tandis qu’au printemps, la végétation se développe souvent avec vigueur, par suite d’un temps humide et chaud, avant que les vides laissés dans la terre par l’opération de la plantation même aient pu se remplir ; ce qui évidemment nuit au succès de la reprise : mais, dans ce cas, on peut suppléer, par des arrosements, aux pluies naturelles.

L’arrachage du plant se fait avec les mêmes précautions que celui des arbres forestiers, c’est-à-dire, soit avec des fourches, soit avec la bêche, soit avec la pioche, et au moyen de tranchées approfondies autant que le pivot. Ici, se rencontre encore ce maudit pivot, sur la conservation ou la suppression duquel les cultivateurs ne sont point d’accord : en général, il est coupé sans miséricorde par tous les pépiniéristes ; mais je voudrois cependant qu’ils réservassent au moins celui du plant de sauvageon qui, étant destiné à former des arbres de plein-vent, doit jouir de tous ses moyens pour résister aux orages ; tandis que le franc, devant fournir des demi-tiges ou des espaliers, n’a pas besoin d’être si fortement attaché à la terre, et peut, par conséquent, être privé de son pivot avec moins d’inconvéniens. Je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit, à cet égard, à l’article des arbres forestiers ;