Aller au contenu

Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou le morillon noir ; on l’égrappe, on le foule légèrement, et on le place dans une bassine sur un feu doux : à mesure que la liqueur se consomme et s’épaissit, on a soin d’ajouter, de temps en temps, de l’excellent moût fait à part avec de bons raisins très-mûrs. C’est ordinairement deux et même trois parties, sur une de raisin. On passe à travers un tamis clair et on remet sur le feu, pour continuer à réduire la liqueur qu’on a soin d’agiter souvent ; la cuisson s’achève doucement, jusqu’à la consistance d’un rob, nom adopté en médecine pour exprimer l’extrait des fruits mous et pulpeux, appelés baies.

Cinquième procédé. Il existe encore une autre sorte de raisiné, celui qu’on prépare avec des raisins blancs muscats et d’autres raisins de treille les plus délicats ; on y procède de la même manière que pour le raisiné ordinaire, en ajoutant du moût des mêmes raisins, et en les faisant cuire avec précaution au bain-marie. Ce raisiné est le meilleur de tous ; il est aussi moins coloré et moins brun que celui qu’on fait avec les raisins noirs ; mais on le trouve rarement dans le commerce ; il se consomme dans les maisons où il a été préparé. Quelques personnes font encore un raisiné aigrelet assez agréable au goût avec des verjus : en les égrappant ou les mettant cuire dans de bon moût, on en obtient une espèce de confiture commune, et à peu de frais.

Observations. Il n’est pas douteux que le résultat des procédés que nous venons de décrire ne doive varier pour la qualité et pour le prix ; mais tous les raisinés sont d’une grande ressource pour l’hiver, de quelque manière qu’on s’y prenne pour les obtenir, pourvu cependant qu’on ne s’écarte pas trop des règles générales, prescrites pour le choix et l’appropriation des fruits, pour conduire le feu avec ménagement, pour remuer et agiter continuellement la pulpe, et l’amener insensiblement au point de cuisson convenable. Voici, au reste, le produit d’une expérience que j’ai faite, à dessein de connoître par apperçu le prix auquel reviendroit la livre de raisiné préparé à Paris, dans une année où le raisin a été extrêmement abondant.

DÉPENSE.
Raisins noirs, 300 l. 37 fr. 30 cent.
Poires, 36 6 20
Pommes, 45 6
Bois, 9
PRODUIT.
Gelée de raisin ou rob, 12 livres.
Raisiné, 121
Total, 133 livres.

La livre de raisiné, par cette expérience, s’élève à neuf sous. On conçoit facilement que, dans un canton où il n’y auroit pas de droits d’entrée sur le raisin, où le combustible, les frais et la main-d’œuvre seroient à meilleur compte, la confiture dont il s’agit ne reviendroit pas à vingt-cinq centimes, à celui qui formeroit, à cet égard, une spéculation.

Le raisiné le plus parfait, mais aussi le plus coûteux, seroit celui qu’on prépareroit avec un raisin de choix, soigneusement égrappé, mondé, foulé avec les mains et qu’on mettroit dans un sac de toile à la presse ; on en exposeroit une portion au feu, et, à mesure que la liqueur entreroit en ébullition, on en verseroit de temps en temps l’autre portion ; on pousseroit l’évaporation jusqu’à la réduction des trois quarts, et on ajouteroit les poires et les pommes : peut-être ce raisiné, dépouillé ainsi de la matière extractive de la peau et des pépins, qui se combine avec le mucoso-sucré que les raisins du Midi contiennent par surabondance, a-t-il l’avantage de se conserver plus long-temps que celui du Nord, qui, quoique parvenu au même degré de cuisson, est plus sujet à se détériorer.

L’habitude de préparer du raisiné a rendu familière la connoissance du degré de cuisson auquel il faut le porter, pour le conserver d’une année à l’autre, et même deux années, suivant la contrée et la nature du raisin employé ; le raisiné, une fois arrivé à ce point, doit être versé dans des pots de faïence ou de grès secs et propres, et, lorsqu’ils sont entièrement refroidis, on les recouvre après avoir appliqué à leur surface un papier imbibé d’alcool, et on le place en un lieu sec et frais, à l’abri du soleil et de la lumière.

Lorsque, faute de toutes ces précautions, les marmelades de ce genre ont, à la longue, souffert de l’altération, il existe peu de moyens propres à les rétablir dans leur premier état ; il ne faut cependant pas renoncer à en tenter quelques uns, puisqu’elles ne sont plus reçues dans le commerce ; les plus efficaces sont d’enlever la moisissure ou efflorescence de celles qui en sont couvertes ; d’ajouter, si c’est au temps de la vendange, un peu de moût aux raisinés devenus solides et candis ; de réunir, au contraire, ceux qui se sont liquéfiés et ai-