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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/539

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assez cuite pour être conservée en pots. Dans certains endroits, on ajoute un atome de piment en poudre ; dans d’autres, c’est un peu de cannelle ; mais il faut être économe de ces épices, et faire toujours en sorte que l’aromate ne domine pas dans la confiture.

Mais on peut conserver les fruits dans leur intégrité agrégative, comme dans la préparation des poires au cidre. En Alsace et en Lorraine, on fait une marmelade fort saine et très-économique avec les prunes connues sous le nom coaetzch, en employant le même procédé que mur le raisiné. Les mêmes prunes desséchées font d’excellens pruneaux ; fermentées, distillées, et rectifiées, elles fournissent une liqueur alcoolique, connue dans le commerce sous le nom de couetyschwasser. Dans la ci-devant Champagne on se procure la même ressource avec une espèce de prune qui y est abondante et qu’on nomme nobertes, d’où le nom de noberte, que porte la marmelade. Un particulier de Reims imagina de faire cuire les nobertes au four, et la noberte qui résulta de cette méthode se trouva et d’une plus belle couleur, et d’une saveur plus agréable.

Commerce de raisiné. Le raisiné obtenu dans les différentes méthodes que nous avons décrites est une branche considérable de commerce pour l’Italie, et une ressource précieuse dans un ménage. Il n’est pas douteux qu’on y auroit également recours dans les pays du Nord, si leurs habitans n’avoient pas d’excellent beurre qu’ils étendent sur le pain, à l’instar des confitures ; ou bien si le raisiné qu’on prépare dans ces cantons n’exigeoit pas, la plupart du temps, du sucre pour masquer le caractère trop âpre et trop acide qu’ont le plus communément les raisins des contrées septentrionales.

Les principaux magasins de cette denrée, pour les Français, sont établis à Marseille, à Cette, à Montpellier. Les négocians de la première de ces places de commerce ont, dans diverses contrées de l’Italie, des préposés qui recherchent le raisiné et le leur font parvenir ; ils sont obligés de se servir de ce moyen, parce qu’il n’existe point d’ateliers pour fabriquer en grand cette confiture, et qu’il faut l’acheter ou chez les particuliers qui la préparent pour leur consommation, et en font un peu plus, pour trouver dans la vente du superflu le remboursement de leurs frais, ou chez les propriétaires, qui n’emploient pour la faire qu’une petite partie de leur récolte ; aussi existe-t-il dans le même canton de la différence dans le goût et l’homogénéité des raisinés faits à part par tant de mains ; le prix ordinaire de cette marmelade est de huit ou dix sous la livre ; on sait qu’il doit varier selon les circonstances.

Indépendamment de l’excellent raisiné qu’on prépare dans les contrées méridionales, et dont on fait un commerce assez considérable, il s’en fabrique encore d’autres dans les contrées placées entre le Midi et le Nord. Ces raisinés n’ont pas, il est vrai, la même réputation, mais, quand ils sont préparés dans de bonnes années, avec un raisin qui a acquis une maturité extraordinaire, ils ne sont pas non plus à dédaiguer, et les personnes peu aisées s’en régalent volontiers ; tels sont ceux qui proviennent du Rouergue et de la Bourgogne. Dans les départemens de l’Yonne et du Loiret, on prépare la presque totalité du raisiné que l’on consomme à Paris ; quand l’année est abondante en fruits, le seul canton de Courtenay en débite pour trois à quatre cent mille francs, au prix de sept à huit sous la livre, suivant l’abondance ou la rareté des fruits. Autrefois il ne valoit que vingt-sept francs le quintal, mais aujourd’hui il ne vaut pas moins de quarante à cinquante francs, et il s’en débite ans la ci-devant Bourgogne, depuis six cents jusqu’à mille quarts de cent cinquante à deux cents livres. On ne peut pas déterminer au juste à combien revient le raisiné, parce qu’il faudroit préalablement connoître le prix du bois ; c’est la dépense la plus considérable qu’entraîne la préparation ; il faut du combustible pour évaporer l’humidité surabondante des fruits, en déterminer la concentration et faire arriver la confiture à la consistance requise. Dans les pays où le bois est cher, cette dépense doit ajouter aux frais. Dans le Gâtinois, on a calculé que chaque quintal de raisiné en consommoit pour cinq à six francs, quoique le prix du bois n’y soit pas exorbitant. Dans la partie de la Champagne qui confine avec la Bourgogne, lorsque les vignerons, principalement leurs femmes et leurs filles, ont fait le raisiné, elles le portent, après la vendange, dans de grands pots de terre vernissée, aux épiciers des villes des environs : c’est d’après le goût, la consistance, la couleur que se règlent les prix de cette substance ; elle est toujours un peu âpre au goût. Le raisiné préparé avec des raisins remplis de matière extracto-résineuse colorante, comme le bourguignon noir, le teinturier, le ramonet et autres variétés grossières, est très-brun, astringent et même acerbe, ce qui lui donne un goût peu agréable ; tandis que celui fait avec les raisins peu colorés, mais