Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/239

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Maintenant, si nous prenons la nature au mot et que nous nous servions de ce papier précieux qu’elle a mis tous ses soins à nous préparer — et c’est une lente préparation, car sa pulpe réclame les précautions les plus subtiles et doit être mise en pression sous la mer ou sous un poids équivalent — si, ai-je dit, nous nous en servons comme nous l’indique la nature, voyez quels avantages s’ensuivront : les couleurs du marbre sont mélangées pour nous comme sur une palette ; on y trouve toutes les ombres, toutes les teintes (excepté celles qui sont laides) ; quelques-unes sont réunies, d’autres coupées, mélangées, interrompues de façon à remplacer, autant que possible, le peintre dans son art d’unir et de séparer les couleurs avec son pinceau.

Ces couleurs, en plus de leur délicatesse d’adaptation, renferment toute une histoire ; par la façon dont elles sont placées dans chaque morceau de marbre , elles nous disent par quels moyens fut produit ce marbre et par quelles transformations il a passé. Dans le circuit de leurs veines, dans leurs taches pareilles à des flammes ou dans leurs lignes rompues, désunies, elles racontent des légendes variées, mais toujours véridiques, sur le premier état politique du royaume montagnard auquel elles ont appartenu, sur ses maladies, son énergie, ses convulsions et ses constitutions depuis le commencement des temps.

Si nous n’avions jamais eu sous les yeux que des marbres véritables, leur langage nous serait devenu compréhensible, le moins observateur d’entre nous, reconnaissant que telles pierres forment une classe particulière, rechercherait leur origine et prendrait grand intérêt à cette étude.

Pourquoi les trouve-t-on uniquement dans telle ou telle place ? Pourquoi font-elles plutôt partie d'une montagne