Aller au contenu

Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XIII
PRÉFACE.

crois et ainsi que je l’ai éprouvé, m’aime de loin : je n’ai pas deux bûches de chêne ensemble ; mes pots sont cassés et brisés et tous mes bons jours sont finis. Que vous dirais-je ? Depuis la ruine de Troie on n’en a pas vu d’aussi complète que la mienne, et il n’y a pas de martyrs qui aient autant souffert que moi. Qu’ils aient été pour Dieu rôtis, lapidés, mis en pièces, je n’en doute aucunement ; mais leur peine ne fut pas longue, tandis que moi, la mienne durera toute ma vie. »

Si ce tableau n’est point chargé à plaisir, ce que j’ai peine à croire, car on sait que la poésie est sœur de la fable et j’imagine que Rutebeuf avait fait d’elles deux compagnes inséparables, il faut convenir qu’il n’est pas trop attrayant. Pourtant en le mettant sous les yeux de nos lecteurs nous ne leur avons encore montré qu’une faible partie des infortunes du poëte ; si l’on s’en rapporte à Rutebeuf, il aurait éprouvé encore bien d’autres malheurs. Le premier de tous, et le plus grand peut-être, aurait été de prendre une femme tellement peu riche que leurs deux opulences réunies les laissaient dans la pauvreté. « Quand je l’épousai, dit-il dans la pièce intitulée Le mariage Rutebeuf, laquelle date de 1260, elle était pauvre et enceinte, et ce mariage a cela de curieux que je suis pauvre et gêné comme elle. Elle n’est ni gente ni belle, elle est maigre et sèche, elle a cin-