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Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/139

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DE CONSTANTINOBLE.

En leu de Naimon de Bavière[1]
Tient li Rois une gens doublière

  1. Dans l’édition que j’ai donnée de La Complainte de Constantinoble en 1834, édition qui suit ma notice sur Rutebeuf, au lieu de Naimon de Bavière j’ai imprimé Raimon. Il ne me vint pas alors à l’idée qu’il pût être question ici du paladin de Charlemagne, lequel, ainsi que disent Les avisemenz du roi saint Louis, par Geffroy de Paris :

           ......Fu bon chevallier,
           Et sus touz sages empallier.

    C’est cependant de lui qu’il s’agit comme d’un type de sagesse et de bon conseil. Voici une très-petite portion de sa biographie, d’après les Romans des douze pairs. Naymes ou Naimon, duc de Bavière, était beau-frère ou serourge de Geoffroy de Danemarck, père d’Ogier-le-Danois. Il vint à la cour de Pépin, où ce roi l’arma chevalier et lui donna en Belgique un fief, au milieu duquel le duc construisit un fort qui du nom de son fondateur tira depuis le sien propre : Namur*. Quand Pépin mourut Naymes était déjà célèbre par sa sagesse. C’est ce qui engagea Charlemagne à lui conserver la faveur dont il avait joui sous son père, et à accorder à ses prières la vie du fils de Geoffroy de Danemarck. Plus tard Naymes accompagna le grand empereur dans toutes ses guerres et partagea tous ses périls. Aussi les romanciers, dans nos épopées carlovingiennes, célèbrent-ils ses hauts faits et le placent-ils parmi les sages conseillers de Charlon, sur la même ligne que Bazin et Turpin. Naymes, après avoir vaillamment combattu en Espagne, alla tomber à Roncevaux au milieu des douze pairs, ces grands chênes qui avaient résisté à tant de tempêtes, et que déracina enfin le vent de la trahison et de la félonie.

    Voici le rôle qu’il joue dans Le roman de Berte aus grans piés. Un jour que Pépin, désolé de la perte de sa femme, allait partir pour Angers, où il ne s’était pas rendu depuis longtemps, le duc Naymes vint à lui avec treize compagnons. Il s’agenouilla devant Pépin avec eux, et parla ainsi : « Bon roi, nous sommes nés en Allemagne, cette terre qui est par-delà, et nous venons vers vous. Mon père le duc de Bavière nous envoie pour que vous nous armiez chevaliers, et il nous a bien recommandé en partant de n’accepter cet honneur que de vous. Gentil roi débonnaire,

    * Cette origine de Namur est contestée par des personnes qui veulent que César ait parlé de cette ville dans ses Commentaires. Elle est cependant bien plus raisonnable que celle qui consiste à tirer l’étymologie de Namur du nom d’une idole appelée Nam, c’est-à-dire Neptune en langage du pays, et que saint Materne, apôtre des Namurais et disciple de saint Pierre, aurait fait taire, ce qui aurait valu au dieu le sobriquet de Nam mutum, d’où serait venu peu à peu Namurum, et enfin Namur. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce dernier nom était populaire dès le 12e siècle.