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Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/18

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XVIII
PRÉFACE.

Mais peut-être Rutebeuf éprouva-t-il quelque infortune subite. Il parle à plusieurs reprises de ses ennemis, et dit, ainsi que nous l’avons fait observer, « que Dieu lui a ôté d’un seul coup tout ce qu’il avait. » Je ne serais pas surpris en effet que la chaleur de ses opinions en faveur de l’Université et leur hardiesse contre les corporations religieuses ne lui eussent attiré quelque persécution fâcheuse de la part des ordres, telle, par exemple, que la perte de quelque procès regardé comme imperdable, ou tout autre témoignage de leur haine. Pourtant cela n’eût point suffi pour le réduire à l’état de misère dans lequel il raconte qu’il fut plongé.

Du reste, si Rutebeuf eut l’avantage d’être aussi bien partagé en adversaires, il paraît qu’il ne manqua pas non plus de ces amis qui font volte-face au premier malheur, et dont l’abandon est plus cruel pour celui qui en est l’objet que toutes les attaques d’un ennemi acharné. À la manière dont il se plaint d’eux on juge aisément que son cœur dut être profondément ulcéré de leur ingratitude. Il dit en effet (voyez, t. I, page 17 : « Que sont devenus mes amis, auxquels je tenais tant et pour lesquels j’avais une si grande affection ? — Ils sont aujourd’hui bien clairsemés ; c’est qu’ils ne furent pas bien semés : voilà pourquoi ils ont manqué. De ces amis, aussi longtemps que Dieu m’a assailli de divers côtés, je n’ai pas vu un seul en mon logis. Je pense que