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Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/22

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XXII
PRÉFACE.

aussi inégal que Rutebeuf, on sent déjà l’approche du 14e siècle : l’alexandrin règne seul et sans partage ; le goût de l’allégorie, qui perce déjà, quoique faiblement, dans quelques-unes des pièces de Rutebeuf, se développe dans les grands poëmes du collaborateur de la reine Marie, et prépare sous ce rapport la décadence qui vint frapper un peu plus tard les productions de la langue d’oil. Mais une chose curieuse, bonne à signaler en passant, et qui distingue à la fois Rutebeuf de ses devanciers et de ses successeurs poétiques, c’est qu’il n’a écrit sur l’amour aucune de ces compositions malheureusement trop nombreuses qui affadissent la littérature de nos aïeux ; sa misère ne lui en laissait pas le temps.

Un autre caractère de la poésie de Rutebeuf c’est la nationalité, si l’on peut appliquer ce mot à une chose du 13e siècle. Notre poëte ne connaît ni Didon, ni Énée, comme la duchesse de Lorraine (voyez page 54 de mon Rapport au ministre), ni Homère, ni Ovide, ni les autres écrivains de l’antiquité (du moins il ne les nomme jamais), et s’il parle de Troie il ne le fait qu’accessoirement (voyez, t. II. page 415). Ses connaissances littéraires sont puisées à des sources plus modernes : ce qui l’inspire c’est la lecture de nos grandes épopées carlovingiennes et celle des autres œuvres romanes contemporaines. Il cite en effet le roman d’Aiol, celui d’Yau-