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Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/21

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XXI
PRÉFACE.

pouvoir et l’on séparait avec raison, comme choses distinctes, le lévite du sanctuaire. Quant à l’amour de notre trouvère pour les croisades, il faut observer qu’il part seulement d’un sentiment de piété, et non, comme l’enthousiasme des seigneurs, d’un désir d’ambition ou d’un vague élan de curiosité pour des régions lointaines. Le vœu de Rutebeuf c’est que le tombeau du Christ soit reconquis, c’est que la terre où Jésus rendit l’âme ne soit plus souillée par la présence des infidèles !… Mais que lui font à lui les richesses d’outre-mer et les merveilles du palais impérial de Blaquerne ? — À peine laisse-t-il même entrevoir quelque part, encore d’une manière obscure, qu’un écho affaibli de la croisade si prospère racontée par Villehardouin soit arrivé jusqu’à lui.

Sous le rapport littéraire Rutebeuf a plus de conformité avec les poëtes de la première moitié du 13e siècle qu’avec ceux de la seconde. Il ressemble davantage aux chansonniers du Romancero français qu’aux écrivains du règne de Philippe-le-Hardi, tel qu’Adenez, par exemple. Son style est en effet plus nerveux, son vers plus net, sa manière plus incisive. Moins régulier et moins uniforme que l’auteur de Cléomades, il prend avec facilité tous les tons et tous les rhythmes : tantôt il est inspiré, plein de chaleur ou d’amertume ; tantôt il est léger, folâtre, badin ; c’est Adam de la Halle réuni au roi de Navarre. Chez Adenez, au contraire, qui n’est pas à beaucoup près