Aller au contenu

Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
LA MORT RUTEBEUF.

Las moi ! c’onques ne sot sentir
Mes fols cuers quels est repentance,
N’à bien fère lui assentir !
Comment oseroie tentir[1]
Quant nès li juste auront doutance ?
J’ai toz jors engressié ma pance
D’autrui chatel, d’autrui substance.
Ci a bon cler au miex[2] mentir :
Se je di : « C’est par ignorance
Que je ne sai qu’est pénitance, »
Ce ne me puet pas garantir.

Garantir ! las ! en quel manière ?
Ne me fit Diex bonté entière,
Qui me dona sens et savoir,
Et me fist à sa forme fière ?
Encor me fist bonté plus chière,
Que por moi vout mort recevoir.
Sens me dona de decevoir
L’anemi qui me veut avoir
Et metre en sa chartre première,
Là dont nus ne se puet r’avoir :
Por prière ne por avoir,
N’en voi nus qui reviegne arrière.

J’ai fet au cors sa volenté ;
J’ai fet rimes, et s’ai chanté
Sor les uns por aus autres plère,

  1. Tentir, littéralement : retentir ; mais on pourrait traduire ce mot avec plus d’exactitude par cette locution vulgaire : souffler. (Comment oserais-je souffler, puisque les justes eux-mêmes ne seront pas exempts de crainte ?)
  2. Ms. 198 N.-D. Var. Au miens.