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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/102

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LETTRE XLI.

Dieu réside dans l’homme de bien. – Vraie supériorité de l’homme.

Tu fais une chose excellente et qui te sera salutaire si, comme tu l’écris, tu marches avec persévérance vers cette sagesse qu’il est absurde d’implorer par des vœux quand on peut l’obtenir de soi. Il n’est pas besoin d’élever les mains vers le ciel, ni de gagner le gardien d’un temple pour qu’il nous introduise jusqu’à l’oreille de la statue, comme si de la sorte elle pouvait mieux nous entendre ; il est près de toi le Dieu, il est avec toi, il est en toi. Oui, Lucilius, un esprit saint réside en nous, qui observe nos vices et veille sur nos vertus, qui agit envers nous comme nous envers lui. Point d’homme de bien qui ne l’ait avec soi. Qui donc, sans son appui, pourrait s’élever au-dessus de la Fortune ? C’est lui qui inspire les grandes et généreuses résolutions. Dans chaque âme vertueuse il habite

Quel dieu ? Nul ne le sait, mais il habite un dieu[1].


S’il s’offre à tes regards un de ces bois sacrés peuplé d’arbres antiques qui dépassent les proportions ordinaires, où l’épaisseur des rameaux étagés les uns sur les autres te dérobe la vue du ciel, l’extrême hauteur des arbres, la solitude du lieu, et ce qu’a d’imposant cette ombre en plein jour si épaisse et si loin prolongée te font croire qu’un Dieu est là47. Et cet antre qui, sur des rocs profondément minés, tient une montagne suspendue, cet antre qui n’est pas de main d’homme, mais que des causes naturelles ont creusé en voûte gigantesque ! ton âme toute saisie n’y pressent-elle pas quelque haut mystère religieux ? Nous vénérons la source des grands fleuves ; au point où tout à coup de dessous terre une rivière a fait éruption on dresse des autels ; toute veine d’eau thermale a son culte, et la sombre teinte de certains lacs ou leurs abîmes sans fond les ont rendus sacrés. Et si tu vois un homme que n’épouvantent point les périls, pur de toute

  1. Éneid., VIII, 352.