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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/103

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passion, heureux dans l’adversité, calme au sein des tempêtes, qui voit de haut les hommes et à son niveau les dieux, tu ne seras point pénétré pour lui de vénération ! Tu ne diras point : Voilà une trop grande, une trop auguste merveille pour la croire semblable à ce corps chétif qui l’enferme ! Une force divine est descendue là. Cette âme supérieure, maîtresse d’elle-même, qui juge que toute chose est au-dessous d’elle et qui passe, se riant de ce que craignent ou souhaitent les autres, elle est mue par une puissance céleste. Un tel être ne peut se soutenir sans la main d’un Dieu : aussi tient-il par la meilleure partie de lui-même au lieu d’où il est émané. Comme les rayons du soleil, bien qu’ils touchent notre sol, n’ont point quitté le foyer qui les lance ; de même cette âme sublime et sainte, envoyée ici-bas pour nous montrer la divinité de plus près, se mêle aux choses de la terre sans se détacher du ciel sa patrie. Elle y est suspendue, elle y regarde, elle y aspire, elle vit parmi nous comme supérieure à nous. Quelle est donc cette âme ? Celle qui ne s’appuie que sur les biens qui lui sont propres.

Quoi de plus absurde en effet que de louer dans l’homme ce qui lui est étranger ? Quelle plus grande folie que d’admirer en lui ce qui peut tout à l’heure passer à un autre ? Un frein d’or n’ajoute pas à la bonté du coursier. Le lion dont on a doré la crinière, qui se laisse toucher et manier, qui subit patiemment la parure imposée à son courage dompté, n’entre pas dans l’arène du même air que cet autre qui, sans apprêt, garde tout son instinct farouche. Celui-ci, dans sa fougue sauvage, tel que l’a voulu la nature, majestueusement hérissé, beau de la peur qu’inspire son seul aspect, on le préfère à cet impuissant1 quadrupède qui reluit de paillettes d’or. Nul ne doit tirer gloire que de ce qui lui est personnel. On fait cas d’une vigne dont les branches surchargées de fruits entraînent par leur poids ses soutiens-mêmes jusqu’à terre : trouvera-t-on plus beaux des ceps d’or, où des raisins, des feuilles d’or serpentent ? Le mérite essentiel d’une vigne est la fécondité. Dans l’homme aussi ce qu’il faut priser c’est ce qui est de l’homme même. Qu’il ait de superbes esclaves, un palais magnifique, beaucoup de terres ensemencées et de capitaux productifs ; tout cela n’est pas en lui, mais autour de lui. Loue en lui ce qu’on ne peut ni ravir ni donner2, ce qui est son bien propre. « Que sera-ce donc ? » dis-tu. Son âme, et dans cette âme la raison perfectionnée. Car l’homme est un être doué de raison ; et le