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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/161

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ouvrage, comme à la statue, et qu’il appelle en effet eidos. Il en ajoute une quatrième : le but de l’œuvre entière. Éclaircissons ce dernier point. L’airain est la cause première d’une statue ; car jamais elle n’eût été faite, sans une matière fusible ou ductile. La deuxième cause est l’artiste : cet airain ne pouvait devenir et figurer une statue, si des mains habiles ne s’y étaient employées. La troisième cause est la forme : cette statue ne s’appellerait pas le Doryphore ou la Diadumène[1], si on ne lui en eût donné tous les traits. La quatrième cause est le but dans lequel on l’a faite, puisque sans ce but elle ne serait pas. Qu’est-ce que le but ? Ce qui a invité l’artiste, ce qui lui a fait poursuivre son travail. Ce peut être l’argent, s’il l’a fabriquée pour la vendre ; la gloire, s’il a travaillé pour avoir un nom ; la piété, s’il voulait en faire don à un temple. C’est donc aussi une cause que la destination de l’œuvre. Et ne penses-tu pas qu’au nombre des causes d’exécution on doive mettre celle sans laquelle rien n’eût été fait ? Platon en admet encore une cinquième : le modèle qu’il appelle Idée ; c’est ce qu’a devant les yeux l’artiste en faisant ce qu’il a l’intention de faire. Or il n’importe qu’il ait ce modèle hors de lui pour y reporter son regard, ou qu’il l’ait conçu et posé au dedans de lui-même. Ces exemplaires de toutes choses, Dieu les possède en soi ; les nombres et les modes de tous les objets à créer sont embrassés par la pensée divine : elle est pleine de ces figures que Platon nomme les idées immortelles, immutables, inépuisables. Ainsi, par exemple, les hommes périssent : mais l’humanité, par elle-même, d’après laquelle est formé l’homme, est permanente ; ceux-là ont beau souffrir et mourir, celle-ci n’en sent nul dommage. « Les causes sont donc au nombre de cinq, d’après Platon : la matière, l’ouvrier, la forme, le modèle, le but ; après quoi vient le produit de tout cela. Ainsi dans la statue, dont nous parlions en commençant, la matière, c’est l’airain ; l’ouvrier, c’est le statuaire ; la forme, ce sont les traits qu’on lui donne ; le modèle, c’est le type imité par l’art ; le but est le motif de l’artiste ; le résultat définitif, la statue. » « Le monde, ajoute Platon, est un effet des mêmes causes : il a Dieu pour créateur ; pour matière, une masse inerte ; pour forme, cet ensemble et cet ordre que nous voyons ; pour modèle, la pensée d’après laquelle Dieu a fait ce grand et magnifique ouvrage ; pour but, l’intention qui le lui a fait

  1. Deux statues de Polyclète. Voir Pline, Hist. nat., XXXIV, VIII