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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/162

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faire. » Et cette intention, quelle fut-elle ? Toute de bonté. Ainsi du moins le dit Platon : « Pour quelle cause Dieu a-t-il créé le monde ? Dieu est bon ; l’être bon n’est jamais avare du bien qu’il peut faire ; il l’a conséquemment créé le meilleur possible. »

Te voilà juge : porte ton arrêt et prononce lequel des deux systèmes te paraît le plus vraisemblable, je ne dis pas le plus vrai, car ces choses sont au-dessus de nous tout autant que la vérité elle-même ? Ce grand nombre de causes, qu’Aristote et Platon établissent, comprend trop ou trop peu. Car si tout ce sans quoi rien ne peut se faire est à leurs yeux cause efficiente, ils ont dit trop peu. Qu’ils mettent au nombre des causes le temps : sans le temps rien ne peut se faire ; le lieu, on ne peut faire une chose sans qu’il y ait un lieu pour la faire ; le mouvement, sans lui rien ne se fait, rien n’est détruit ; sans mouvement, point d’art, point de transformation. Mais ici nous cherchons la cause première et générale : elle doit être simple, car la matière aussi est simple. Nous cherchons la vraie cause, c’est-à-dire la raison créatrice : car tout ce que vous avez énuméré ne constitue pas plusieurs causes distinctes, mais se rattache à une seule, à celle qui crée. La forme, dis-tu, est une cause ! Non ; cette forme que l’ouvrier imprime à son ouvrage est une partie de cause, non une cause. Le modèle non plus n’en est pas une : c’est un moyen dont la cause a besoin. L’artiste a besoin de modèle comme de ciseau, de lime ; sans toutes ces choses l’art ne peut procéder, et pourtant ce ne sont ni parties de l’art, ni causes. Le but de l’artiste, dit-on, ce pourquoi il se met à l’œuvre, est une cause. Quand c’en serait une, elle ne serait pas efficiente, mais accessoire. Or celles-ci sont innombrables ; et nous cherchons la cause la plus générale. Mais la sagacité ordinaire de ces grands hommes leur a fait défaut lorsqu’ils ont dit que le monde entier, que toute œuvre achevée, est une cause : car il y a grande différence entre l’œuvre et la cause de l’œuvre.

Porte donc ton arrêt, ou, ce qui est plus facile en de telles matières, dis que tu n’y vois pas assez clair, et ajourne-nous. « Tu vas demander quel plaisir je trouve à consumer le temps sur des abstractions qui ne guérissent aucune passion, qui ne chassent nul mauvais désir ? » Mais je songe et travaille avant tout à ce qui fait la paix de l’âme ; je m’étudie d’abord, et ensuite l’univers. Et ce n’est pas là un temps perdu, comme tu l’imagines. Toutes ces questions, quand on ne les morcèle et