Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/266

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dans ces bains obscurs, revêtus d’un crépi grossier, quand vous savez qu’un édile comme Caton, ou Fabius Maximus, ou l’un des Cornélius Scipions y mettaient la main pour en régler la chaleur ! Car c’était aussi pour ces grands hommes une des fonctions de l’édilité de visiter les lieux qui s’ouvraient pour le peuple, d’y faire régner la propreté, une convenable et saine température, non point celle dont on s’est naguère avisé, température d’incendie, au point qu’un esclave convaincu d’un crime devrait n’être que baigné tout vif. Je ne vois plus en quoi diffère un bain chaud d’un bain d’eau bouillante. Combien aujourd’hui certaines gens ne taxent-ils pas Scipion de rusticité ! Ne devait-il point faire entrer le jour dans son étuve par de larges spéculaires14, et rôtir en plein soleil, en attendant d’être cuit dans son bain ? L’infortuné mortel ! Il ne sut pas jouir. Son eau n’était pas filtrée, mais bien souvent trouble et, s’il avait plu un peu fort, presque bourbeuse. Or il ne s’inquiétait guère de la trouver telle : il y venait laver sa sueur et non ses parfums. Ici, dis-moi ; n’entends-tu pas d’avance ces exclamations : « Je n’envie guère ce Scipion : oui, c’était vivre en exilé que se baigner de la sorte. » Et même, le sais-tu, il ne se baignait pas tous les jours. Car, au dire de ceux qui nous ont décrit les usages de la vieille Rome, on se lavait chaque jour les bras et les jambes, à cause des souillures contractées par le travail ; mais l’ablution du corps entier n’avait lieu qu’aux jours de marché. Sur quoi l’on va me dire : « Ils étaient donc bien sales ! Quelle odeur ils devaient avoir ! » Ils sentaient la guerre, le travail, l’homme enfin15. Depuis que les bains sont devenus si nets, les corps sont plus souillés que jamais. Si Horace veut peindre un infâme trop connu par ses raffinements sensuels, que dit-il ?

Rufillus sent le musc[1].

Rufillus vivrait aujourd’hui qu’il semblerait sentir le bouc, qu’il serait comme ce Gorgonius que le même Horace lui oppose. Prendre des parfums n’est plus rien, si on ne les renouvelle deux, trois fois le jour, de peur que tout s’évapore. Et ces gens font gloire de leurs odeurs, comme si elles venaient d’eux ! Si tu trouves ceci trop austère, accuses-en l’influence du lieu. Là j’ai appris d’Ægialus, chef d’exploitation très-intelli-

  1. Horace, Ép. II, liv. I.