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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/267

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gent et possesseur actuel de ce domaine, que même les vieux arbres peuvent se transplanter. Chose essentielle à savoir pour nous autres vieillards qui ne mettons pas en terre un olivier qui ne soit pour un autre. Ægialus en a transplanté devant moi en automne un de trois ou quatre ans dont les fruits ne l’avaient point satisfait. Toi aussi tu pourras t’abriter sous cet arbre lent à venir

    Qui, né pour un autre âge,
À nos futurs neveux réserve son ombrage
[1].


comme dit notre Virgile, moins soigneux de l’exacte vérité que de la grâce parfaite des détails ; il a voulu non pas instruire l’homme des champs, mais charmer ses lecteurs. En effet, sans parler de mainte autre erreur, il a fallu qu’aujourd’hui je le prisse en défaut sur le point que voici

Sème au printemps la fève ; au printemps les sainfoins
Et le millet doré redemandent tes soins
[2].


N’y a-t-il qu’une époque pour semer ces trois choses, et chacune doit-elle se semer au printemps ? Tu vas en juger.

Je t’écris au moment où juin décline déjà vers juillet : eh bien ! je viens de voir, le même jour, semer le millet et récolter la fève.

Revenons à l’olivier, que j’ai vu aussi transplanter de deux manières. Figure-toi des arbres de belle grandeur, tous leurs rameaux coupés à un pied du tronc : ils ont leur tige, on a retranché, sans toucher à la souche principale où elles tiennent, le chevelu des racines : cette souche frottée de fumier est plongée dans la fosse ; puis non content d’y amonceler la terre, on la presse en piétinant. Rien, à ce que dit Ægialus, n’est plus efficace que cette pression : elle ferme passage au froid et au vent, rend l’arbre moins mobile et permet aux racines nouvelles de s’étendre et de mordre le sol : elles sont si tendres et si faiblement adhérentes que la moindre agitation les arracherait infailliblement. De plus, avant d’enfouir l’arbre, il ratisse légèrement l’écorce ; car il prétend qu’il repousse des racines de toute la partie mise à nu. Le tronc ne doit pas s’élever de terre au delà de trois ou quatre pieds, vu qu’en très-peu de temps il se garnira de branches

  1. Géorg., II, 58. Delille.
    Mes arrières neveux me devront cet ombrage. (La Fontaine)
  2. Géorgiq., I, 215. Delille.