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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/273

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par la crainte, l’anxiété, les tourments de l’âme et du corps. – Quiconque parle ainsi se condamne à admettre que si le sacrilège est un mal comme entraînant beaucoup de maux, c’est un bien à quelque autre égard, parce qu’il rapporte quelque avantage ; or se peut-il rien de plus monstrueux, bien qu’on ait dès longtemps persuadé aux hommes que le sacrilège, le vol, l’adultère sont au nombre des biens ? Que de gens n’ont point honte du vol ! combien font gloire de l’adultère ! On punit les petits sacrilèges ; les grands sont portés en triomphe19. D’ailleurs si sous un rapport quelconque le sacrilège est réellement un bien, il sera plus, il sera honorable et qualifié de méritoire[1], ce que nulle conscience humaine n’admettra. Non, encore une fois, le bien ne peut naître du mal. Si en effet, comme vous le dites, le sacrilège est un mal uniquement parce qu’il entraîne beaucoup de maux, faites-lui remise des supplices, garantissez-lui la sécurité, ce sera un bien complet de tout point. Et pourtant le plus grand supplice du crime n’est-il pas dans le crime même ? Crois-tu la peine différée tant que le bourreau, tant que les cachots ne sont point là ? erreur ; elle se fait sentir sitôt l’acte commis, que dis-je ? lors même qu’il se commet. Ainsi du mal ne peut naître le bien, pas plus que la figue de l’olivier. Le fruit répond à la semence : le bien ne dégénère pas. Dès que l’honnête ne peut provenir de la turpitude, le mal ne produit pas le bien : car l’honnête et le bien, c’est tout un. Quelques stoïciens objectent à ceci : qu’en admettant que l’argent est un bien de quelque part qu’il vienne, il ne s’ensuit pas que ce soit un argent sacrilège, quoique étant le fruit d’un sacrilège. Voici comment je comprends la chose. Dans la même urne il y a de l’or et une vipère : si tu en tires l’or[2], ce n’est pas parce qu’elle renferme une vipère que l’urne te fournit cet or, mais elle te le fournit quoiqu’elle renferme aussi une vipère. Les profits du sacrilège ont lieu de la même manière, non parce que c’est chose honteuse et criminelle que le sacrilège, mais parce qu’au crime se joint le profit. De même que dans cette urne il n’y a de mauvais que la vipère, et non l’or qui s’y trouve en même temps ; ainsi pour le sacrilège le mal est dans le crime, non dans le profit. Cette opinion n’est pas la mienne : les deux termes de la comparaison sont très-dissemblables. Je puis d’une part prendre l’or sans la vipère, de l’autre je ne puis

  1. Texte altéré. Nostra enim actio est: interpolation.
  2. Quia illic et vipera est. autre interpolation.