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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/274

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arriver au profit que par le sacrilège. Ce profit-là n’est point à côté du crime ; il fait corps avec lui.

« Toute chose dont la poursuite nous fera tomber dans une foule de maux n’est pas un bien. La poursuite des richesses nous jette dans une foule de maux ; donc les richesses ne sont pas un bien. » Votre proposition, nous dit-on, signifie deux choses : l’une qu’en voulant arriver aux richesses nous tombons dans une foule de maux : or cet inconvénient a lieu aussi dans la poursuite de la vertu. Tel qui court les mers pour s’instruire aboutit au naufrage ; tel autre à la captivité. Voici le second sens : ce qui nous fait tomber dans le mal n’est pas un bien. Mais il ne suit pas de cette proposition que les richesses ou les voluptés nous précipitent dans le malheur ; autrement, loin d’être un bien, elles seraient un mal. Or vous vous bornez à dire qu’elles ne sont pas un bien. Ce n’est pas tout : vous accordez que les richesses ont quelque utilité ; vous les rangez parmi les avantages de la vie. Mais d’après votre raisonnement elles ne seront pas même des avantages, car par elles une foule d’inconvénients nous arrivent.

Certains philosophes répondent : « qu’on impute faussement aux richesses ces inconvénients. Elles ne font de mal à personne : le mal ne vient que de notre folie à nous ou de l’iniquité d’autrui. Ainsi l’épée d’elle-même ne tue point ; elle est l’arme de celui qui tue. Il n’est pas vrai que les richesses vous nuisent, parce qu’on vous nuit à cause de vos richesses. » Posidonius, ce me semble, a mieux répondu : « Les richesses sont des causes de maux, non pas qu’elles-mêmes fassent quelque mal, mais parce qu’elles excitent à mal faire. » Car autre est la cause efficiente, qui produit à l’instant et nécessairement le mal, autre la cause antérieure ; et les richesses ne renferment que celle-là. Elles enflent l’âme, engendrent l’orgueil et suscitent l’envie ; elles égarent à tel point la raison que le renom d’homme riche, dût-il nous porter malheur, nous enchante. Or les vrais biens doivent être irréprochables : ils sont purs, ne corrompent point l’âme, ne la troublent point : ils l’élèvent et l’agrandissent, mais sans la gonfler. Les vrais biens inspirent de la confiance ; les richesses, de l’audace ; les vrais biens donnent de la grandeur à l’âme ; les richesses, de l’insolence. Et l’insolence n’est qu’un faux semblant de grandeur. « À ce compte les richesses non-seulement ne sont pas un bien, elles sont même un mal. » Oui, si elles nuisaient par elles-mêmes ; si, comme je l’ai dit, elles étaient cause efficiente ; mais elles ne sont