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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/275

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qu’une cause antérieure, laquelle, il est vrai, excite au mal, y entraîne même ; car elles offrent des apparences, des semblants de bien, et le grand nombre y peut croire. La vertu aussi est une cause antécédente d’envie ; car que de gens dont la sagesse, dont la justice excitent ce sentiment ! mais cette cause n’est pas immédiate et ne frappe pas tout d’abord. Loin de là, ce qui dans la vertu frappe le plus l’imagination des hommes, c’est qu’elle inspire l’amour et l’admiration. Posidonius veut qu’on pose ainsi la question : « Ce qui ne donne à l’âme ni grandeur, ni confiance, ni sécurité, n’est pas un bien ; or les richesses, la santé et autres dons semblables ne procurent aucune de ces trois choses ; donc ce ne sont pas des biens. » Il renforce encore sa proposition de cette manière : « Ce qui, loin de donner de la grandeur, de la confiance, de la sécurité à l’âme, n’engendre au contraire qu’insolence, morgue, présomption, n’est pas un bien ; or les dons du hasard nous portent à tout cela ; donc ce ne sont pas des biens. » – À ce compte, disent nos adversaires, ce ne seront pas même des avantages. – Les avantages ne sont pas de même nature que les biens. Un avantage apporte plus d’utilité que de désagrément ; un bien doit être sans mélange et n’avoir en soi rien de nuisible. Ce qui fait le bien, ce n’est pas d’être plus utile que nuisible, c’est d’être exclusivement utile. D’ailleurs les avantages sont aussi pour les animaux, pour les hommes imparfaits, pour les sots. C’est pourquoi les inconvénients peuvent s’y mêler ; mais on appelle avantage ce qu’on juge tel sous la plupart des rapports. Le bien appartient au sage seul, et ne doit point comporter d’alliage.

Prends courage : il ne te reste plus qu’un nœud à dénouer, mais c’est le nœud d’Hercule[1]. « Une somme de maux ne fait pas un bien : plusieurs pauvretés font une richesse ; donc la richesse n’est pas un bien. » Notre école ne reconnaît pas ce syllogisme : les péripatéticiens qui l’imaginèrent en donnent aussi le mot. Mais, dit Posidonius, ce sophisme rebattu dans toutes les chaires de dialectique est ainsi réfuté par Antipater : « Qui dit pauvreté ne dit pas possession, mais retranchement ou, comme les anciens, privation, orbationem, que les Grecs nomment στέρησιν. On vous appelle pauvre à raison non de ce que vous avez, mais de ce que vous n’avez pas. Des vides multipliés ne rempliront rien : les richesses se composent de

  1. Autrement dit: le nœud gordien.