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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/365

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dis : « En si haute matière, c’est exceller que d’être le troisième. » Nomme Tite-Live enfin : car il a écrit aussi des dialogues[1] qu’on peut rattacher à la philosophie autant qu’à l’histoire, et des traités de philosophie pure. Je lui ferai place encore : mais vois que de rivaux on dépasse quand on n’a que trois vainqueurs, et tous trois des plus éloquents77 !

Mais Fabianus n’a pas tous les mérites : son style est sans nerf, bien qu’il ait de l’élévation ; il n’est point rapide ni impétueux, malgré son ampleur ; il n’est pas limpide, il n’est que pur. « Tu voudrais, dis-tu, l’entendre malmener le vice, mettre les périls au défi, apostropher la Fortune, humilier l’ambition ; tu voudrais que le luxe fût gourmandé, la débauche stigmatisée, la violence désarmée, que l’art oratoire parfois lui prêtât ses foudres, la tragédie son grandiose, le comique sa finesse. » Veux-tu donc qu’il s’amuse à la plus petite des choses, aux mots ? Il s’est voué à la science, son sublime objet ; et l’éloquence le suit comme son ombre, sans qu’il y prenne garde78. Non, sans doute, il ne s’observera point à chaque pas, ramassant sa phrase sur elle-même, aiguisant chaque parole en trait qui réveille et qui perce, beaucoup, je l’avoue, tomberont sans porter coup, et par moments son discours glissera sur nous sans agir ; mais partout règnera une grande lumière ; mais, si long qu’il soit, le chemin sera sans ennui. Bref, il te laissera convaincu qu’il a écrit comme il sentait. Tu reconnaîtras qu’il a tout fait pour t’instruire de ses idées, non pour flatter les tiennes. Tout chez lui tend au progrès, à la sagesse ; rien ne vise aux applaudissements.

Je ne doute pas que tels ne soient ses écrits, bien que j’en juge plutôt par réminiscence que sur le livre même, et que leur caractère m’apparaisse moins comme l’impression familière d’un commerce récent que comme les traits généraux d’une lointaine connaissance. Tel il me semblait du moins quand je pouvais l’entendre : non substantiel, mais plein, fait pour enthousiasmer les jeunes âmes bien nées et les enflammer d’un zèle imitateur, de l’espoir même de le vaincre, exhortation, selon moi, la plus efficace : car on décourage si en donnant le désir d’imiter on en ôte l’espoir. Au reste il avait l’abondance du style ; sans que tel ou tel passage ressortît, l’ensemble était magnifique.



  1. Ces Dialogues ont péri, ainsi que ses Traités.