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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/386

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rien faire d’inique. Celui qui cède au génie du mal mène une vie de trouble et d’anxiété ; ses frayeurs égalent ses prévarications, et son esprit n’est jamais en paix. Les alarmes suivent le délit : captif de sa conscience qui ne lui permet aucune distraction, tout malfaiteur est sans cesse sommé de lui répondre. On souffre la peine dès qu’on l’attend ; on l’attend quand on la mérite5. Une mauvaise conscience peut trouver sûreté quelque part, nulle part sécurité. On a beau n’être pas découvert, on se dit qu’on peut l’être ; et dans le sommeil on tressaille, et l’on ne peut ouïr parler d’un crime sans songer au sien. Il ne semble point assez effacé, assez invisible. Le coupable a parfois la chance de rester caché ; la certitude, il ne l’a jamais6.


Lettre CVI.

Si le bien est corps. Fuir les subtilités.

Si je réponds un peu tard à tes lettres, ce n’est pas que trop d’occupations se disputent mon temps : ne te paye jamais d’une telle excuse ; j’ai du loisir, et en a toujours qui veut. Les affaires ne cherchent personne ; c’est nous qui courons nous y jeter, et qui croyons que tous ces embarras sont l’enseigne du bonheur. Pourquoi est-ce donc que je n’ai pas sur-le-champ répondu à tes questions ? c’est qu’elles rentraient dans la contexture de l’ouvrage où tu sais que je veux embrasser toute la philosophie morale, et éclaircir toutes les questions qui s’y rattachent. J’ai donc hésité si je t’ajournerais, ou si, en attendant que cette matière vînt en son ordre, je te donnerais une audience extraordinaire : j’ai cru plus honnête de ne pas faire languir un homme venu de si loin. J’extrairai donc ceci encore d’une série de choses qui se tiennent ; et s’il se présente quelque curiosité de ce genre, je préviendrai ta demande et te l’enverrai. Que sera-ce ? Tu veux le savoir ? De ces objets dont la connaissance amuse plus qu’elle ne sert ; comme est ta question : « Le bien est-il un corps ? »

Le bien agit, car il est utile : or ce qui agit est corps. Le bien donne du mouvement à l’âme, il en est comme la forme et le moule ; ce qui est le propre d’un corps. Les biens du