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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/212

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À KOLOMEA.

« Tu cherches le garde-chasse ? » repris-je.

Pas de réponse. Elle ne baissa pas ses paupières, elle ne tressaillit même pas ; mais une flamme jaillit de ses yeux, et ses pupilles se dilatèrent comme celles d’un chat errant dans les ténèbres.

« Allons Iéwa, tu ne le cherches pas ?

— Eh bien ! oui, je le cherche, repartit-elle d’un ton bas, mais ferme. N’est-il pas mon amant ? Je l’attends, vous pouvez me jeter la pierre comme les autres.

— Et pourquoi te jetterais-je la pierre ?

— Parce qu’ils le font tous au village, parce qu’ils me considèrent comme une fille perdue, et qu’ils me méprisent ; mais quoi, c’est ainsi qu’est le monde ! dit-elle en haussant les épaules par un geste brusque et résolu.

— Je ne te méprise pas, moi.

— La société vous semble donc aussi une farce grossière ? » répliqua-t-elle avec un rire amer dont l’écho retentit au loin, comme une malédiction.

Le rossignol se tut. Les appels du chat cessèrent subitement.

« Que m’importent les hommes ? continua-t-elle en s’animant. Qu’est pour moi l’opinion du monde ? Ce que la potence est au brigand audacieux ! Je m’en joue ! Ils me font pitié ! »

Je laissai retomber sa main. Elle ramena sa chemise sur sa belle gorge frissonnante, et se redressa fièrement.

« Et pourtant, reprit-elle tristement, je suis la plus belle du village. À l’église, pendant la messe, le prêtre me lance des regards sévères ; mais lorsqu’il me rencontre seule dans la forêt, il promène sa main potelée sur ma nuque et autour de ma taille. Ici, tous me haïssent parce qu’il m’est impossible de dissimuler, de mentir