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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/213

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LA FÊTE DES MOISSONNEURS.

comme eux, comme leurs femmes ou leurs filles ; parce que je regarde un homme lorsqu’il me plaît, parce que je lui réponds lorsqu’il me parle, parce que…

— Eh bien ?

— Parce que je l’embrasse, s’écria-t-elle, parce que je l’aime, parce que, lorsque je le vois dévoré de désirs et alangui par l’amour, je lui dis : Viens chez moi ce soir. Vit-on dans le but d’obtenir après sa mort un enterrement honorable ou…

— Prends un mari.

— Jamais ! exclama-t-elle avec feu, jamais je ne me livrerai à un homme pour lui servir d’esclave comme une pièce de bétail ; je veux être libre ; je veux rester comme un chat sauvage au milieu d’animaux domestiques. Est-ce que je ne prends pas le monde en pitié, moi ? »

Le foin sec bruissa de nouveau.

Iéwa écouta. Elle demeura un instant immobile, caressée par la clarté molle de la lune, une main levée, puis elle s’enfuit en bondissant.

Je regagnai le château et je m’assis sous la véranda, appuyé sur la balustrade en bois sculpté dans laquelle le ciron faisait de lents ravages, je me penchai en avant et regardai, dans la cour, le fourmillement de la multitude.

Personne n’était ivre, mais chacun paraissait très excité.

Le cosaque, les yeux recouverts d’un épais bandeau, pirouettait au bord de la mare, donnant de furieuses ruades à droite et à gauche, sans parvenir cependant à atteindre la cruche de terre. Sur une plate-forme au pied de la colline, on avait allumé un grand feu autour duquel sautillait une bande de jeunes gens ; debout entre les