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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/216

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À KOLOMEA.

À peu près à la même heure, dans la mairie, les employés, assis devant leurs pupitres encadrés de baguettes noires, s’entretenaient de l’événement qui avait produit au milieu d’eux l’effet d’un aérolithe.

Tout à coup, l’épouse du capitaine Grabacher entra dans l’étude, parée d’une robe à traîne, d’une mantille et d’un bonnet de fines dentelles. La resplendissante petite femme était toute souriante. Ses yeux étincelaient d’une joie presque féroce.

« J’ai une idée excellente, commença-t-elle avec cette dignité qui imposait, non seulement aux employés inférieurs, mais encore à tout le district. La volonté de Sa Majesté sera accomplie, mais il faut que ce soit de façon à ce que chacun de nous y trouve quelque avantage. Le bon empereur ordonne aux juifs d’adopter des noms de famille, c’est fort bien. Mais Sa Majesté n’a pas dit quels noms ils doivent adopter, et moi, je ne vois pas que l’édit autorise les juifs à se choisir eux-mêmes les noms qu’ils doivent porter. »

Madame Grabacher regarda triomphalement autour d’elle, comme Napoléon avant une bataille.

« C’est juste, repartit le capitaine en prenant une prise dans sa tabatière d’or, parfaitement juste ; mais je ne vois pas beaucoup où tu veux en venir, chère amie. »

Madame Grabacher sourit.

« Je connaîtrais bien peu nos juifs, dit-elle, si j’ignorais qu’ils vont se donner un mal affreux pour chercher des noms mirobolants.

— Assurément, répondit son mari. Aussi, pour l’amour de Dieu, je suis prêt à tout pour les contenter.

— Mais non gratis, s’écria madame Grabacher. Il s’agit maintenant de les leur faire payer en bel et bon or, leurs noms mirobolants.