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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/217

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SCÈNES DU GHETTO.

— Quelle lumineuse idée ! s’écria le commissaire Steineck, en se frottant joyeusement les mains. Madame a vraiment un génie inventeur ! »

Le chancelier Krummholz, un malheureux bossu, à moitié aveugle, se contenta de faire un compliment et de sourire avec extase sous son abat-jour de soie verte, tandis que le capitaine, lui, promenait des regards effarés autour de lui et s’écriait, après avoir humé une forte prise :

« Et tu dis cela si tranquillement, ici, dans l’étude impériale, en présence de messieurs les employés. Tu oublies sans doute quels devoirs l’honneur de notre charge…

— Papperlappap ! répondit la petite femme résolue, l’honneur de la charge exige que l’édit de l’empereur soit exécuté en tous points ; et il exige aussi que messieurs les employés participent aussi bien que nous aux avantages que nous en pourrons tirer.

— Eh bien, nous verrons, » ajouta le capitaine continuant à priser avec acharnement, tandis que les employés s’inclinaient profondément devant madame son épouse.

Et réellement, madame Grabacher avait raison d’être fière de son idée ingénieuse. Tous les fonctionnaires l’adoptèrent immédiatement, enchantés d’entreprendre une si brillante affaire. Elle réussit à souhait. Les juifs, fins matois, habitués à de tels marchés, comprirent tout de suite le procédé. Tout alla à merveille ; qui payait brillamment recevait un nom brillant ; qui payait bien recevait un beau nom, qui payait modestement, un nom modeste, et celui qui ne donnait rien était doté d’un nom bien commun, sur lequel souvent les fonctionnaires exerçaient leur verve.

C’est alors que les juifs riches reçurent des noms