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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/33

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PINTSCHEW ET MINTSCHEW.

Esterka remarqua bientôt cette conduite étrange, et comme Mintschew était le seul qui se montrât complètement indifférent à ses charmes et à son amabilité, elle se mit naturellement à l’accabler de politesses, de regards fripons et de paroles aimables, et le traita enfin avec un sans gêne qui ne servit qu’à rendre Mintschew plus chagrin encore et plus désagréable.

Un jour, Mintschew passa devant la kartschma[1], ramenant de Lemberg un jeune seigneur qui y faisait son droit et qui venait passer ses vacances chez ses parents, propriétaires du voisinage. En longeant la kartschma, sur le seuil de laquelle se tenait Esterka, les poings coquettement campés sur les hanches, Mintschew détourna la tête, fit claquer son fouet et accéléra le galop de ses chevaux.

Par malheur, le jeune baron avait déjà remarqué la taverne avec son buisson de houx suspendu au-dessus de la porte ; il avait aussi fort bien vu la jolie juive. Il ordonna à Mintschew de faire halte.

Mintschew retourna en arrière et arrêta sa voiture devant l’auberge. Ajoutons qu’il eut la méchanceté de faire rouler bruyamment l’équipage dans l’immense flaque d’eau noire qui en ornait l’entrée, si bien que les canards de Blauweisz s’enfuirent en braillant, et que le joli étudiant frisé, parfumé et vêtu à la dernière mode, disparut littéralement dans une pluie de boue.

Lorsque ce dernier fut sorti de la tritschka, Mintschew retomba dans sa rêverie et son mutisme habituels.

Il n’entendit pas le jeune Polonais comparer Esterka à la fiancée du cantique de Salomon et à la ravissante

  1. Taverne juive.