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LA FEMME SÉPARÉE

Le bruit que nous fîmes éveilla l’oiseau. Il découvrit sa tête, cligna de l’œil avec impatience, poussa un faible gazouillement, secoua son plumage, et vint à tire d’aile se poser sur l’épaule de sa maîtresse, où il se mit à chanter. Comme elle ne le remarquait pas, il voleta dans ses boucles soyeuses, et commença à lui becqueter les doigts avec une sorte de rage.

— Où en sommes-nous restés ? me dit Mme de Kossow la joue légèrement tendue vers moi. Oui, lors de mon premier entretien avec Julian de Romaschkan. Lorsqu’il me quitta, l’élection de mon père était assurée. Non que je l’eusse prié d’en arriver là : je n’en avais au contraire pas dit un mot, mais le pauvre idéaliste, enivré par la beauté de la fille, fut dès ce moment convaincu que le père était le plus honnête homme du monde, que les accusations qu’on portait contre lui étaient fausses, et qu’il était du devoir de tout électeur « neutre » de voter pour lui.

Mon père fut nommé.

Le même soir encore, Julian nous apporta, tout rayonnant, cette nouvelle, qui assurait notre existence, grâce au poste de mon mari. À partir de cette soirée, Julian vint nous voir tous les jours, et me trouva constamment seule. Une grande familiarité s’établit entre nous ; nous passions de longues soirées ensemble à nous raconter nos impressions,