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Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/204

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LA FEMME SÉPARÉE

fort mal. Ah ! si l’on m’eût jamais aimée de cet amour…

Le hasard voulut qu’un peintre de talent très en vogue à cette époque eût l’idée de créer une galerie des femmes les plus belles du pays. Il commença par mon portrait. C’était un triomphe qui devait me ramener Julian. L’artiste m’indiqua lui-même ma toilette. Elle était superbe.

À cet effet, je vendis une partie de mon argenterie. Lorsque Noël approcha, le portrait était à peu près terminé. J’attendais Julian chaque jour. Mais… lisez-vous-même ce passage de son journal.

Je pris le manuscrit ; elle l’ouvrit.

« Le 23 décembre.

» C’est étrange. Ma séparation d’avec Anna a été courte. Et maintenant que je vais la revoir, mon sang bout dans mes veines, la fièvre brûle mon cerveau, mon cœur bat à se rompre. C’est là-bas, loin d’elle, que j’ai ressenti la force des liens qui me retiennent à elle. Ah ! que je l’aime, chère âme ! J’ai à peine embrassé ma mère, et je cours vers notre demeure. Vite, plus vite. Je presse le cocher, les chevaux dévorent l’espace, la neige craque sous les roues de ma voiture. Voilà notre petite maison. Les fenêtres, que le couchant allume comme des braises, semblent illuminées en l’honneur de