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Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/55

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LA FEMME SÉPARÉE

— Oui… ma position aussi m’y autorise. Je suis à peu près libre comme l’air, comme on dit.

— Et comme vous êtes belle !…

Elle releva brusquement la tête.

— J’ai été belle, dit-elle en me regardant fixement.

Elle plia le papier avec lenteur, me le tendit avec un léger signe de tête, et parut m’inspecter d’un œil froid, qui pour un moment glaça entièrement mon enthousiasme.

— Vous voulez faire ma connaissance ? dit-elle d’une voix sympathique, quoique un peu rude. Eh bien, je vous invite à venir me voir, à venir me voir souvent.

De ce jour, je rendis fréquemment visite à Mme de Kossow. Bientôt je me mis à l’aller voir chaque jour. Nous parlions littérature et musique, peinture, questions sociales ; nous sortions, nous montions à cheval ensemble ; nous devînmes intimes, et pourtant ce voile mystérieux qui semblait envelopper toute son existence et influer sur son être, ce voile ne se soulevait pas. Des semaines s’étaient écoulées. Une circonstance m’appela dans la capitale. Mes affaires terminées, j’entrai dans un café pour lire les journaux. Le billard et les tables étaient solitaires. Dans un coin sombre était assis un étudiant tout jeune, absorbé par la lecture d’un journal français.