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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/36

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tresses, et ses yeux me cherchaient. Au départ, je m’enhardissais à l’éclairer dans l’escalier, et je m’arrêtais sur la dernière marche. Elle s’emmitouflait, baissait son voile, saluait tout le monde de la tête, la jalousie m’en mordait au cœur, et, quand les grelots ne résonnaient plus que dans le lointain, j’étais encore à la même place, armé de mon chandelier, avec la bougie qui coulait. Un vrai nigaud, n’est-ce pas ?

Puis les leçons prirent fin, et je fus longtemps sans la revoir. Alors je me réveillais la nuit, ayant pleuré sans savoir pourquoi ; j’apprenais par cœur des vers que je récitais à mon porte-manteau, ou bien je m’emparais d’une guitare et chantais, à tel point que notre vieux chien sortait de dessous le poêle, levait le nez au ciel et hurlait.

Vint le printemps, et j’eus l’idée d’aller à la chasse. J’errais dans la montagne, et je venais de me coucher sur le bord d’un ravin et de m’y mettre à mon aise ; tout à coup j’entends craquer les branches, et j’aperçois un ours énorme qui arrive tout doucement à travers le taillis. Je me tiens coi. La forêt était silencieuse ; un corbeau passa sur ma tête, croassant. J’eus peur : je fis un grand signe de croix, je ne respirais plus ; puis, lorsqu’il fut en bas, je pris mes jambes à mon cou.

C’était le mois où se tenait la foire. Excusez-moi si je vous conte tout cela pêle-mêle. Je me rends donc à la ville, et, comme je flâne parmi les boutiques, elle est là aussi. J’ai oublié de vous dire son nom : Nicolaïa Senkov. Elle avait maintenant une