Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petit Cosaque laisse tomber une pile d’assiettes qu’il portait correctement sous le menton ; ma femme de sauter sur le fouet ; lui, — si la maîtresse doit le fouetter, il cassera volontiers une douzaine par jour ! — Compris ? et ils rient tous les deux.

On voyait maintenant les voisins. Auparavant ils ne venaient que les jours de grande fête, par exemple à Pâques, pour la table bénite[1] ; on eût dit qu’ils voulaient rattraper le temps perdu. Ils venaient tous, vous dis-je. Il y avait d’abord un ancien lieutenant, Mack : il savait par cœur tout Schiller ; pour le reste, un brave homme. Il est vrai qu’il avait un défaut : il buvait, — pas tellement, vous savez, qu’il aurait glissé sous la table ; mais il se plantait au milieu du salon, le petit rougeaud, et nous récitait d’une haleine la ballade du Dragon. Terrible, hein ?

Puis venait le baron Schebiçki ; le connaissez-vous ? Le Papa s’appelait Schebig, Salomon Schebig, — un Juif, un colporteur, qui achetait et vendait, obtenait des fournitures ; puis un beau jour il achète une terre, et s’appelle Schebigstein. Il y en a, dit-il, qui s’appellent Lichtenstein ; pourquoi ne m’appellerais-je pas Schebigstein ? Le fils est devenu baron et s’appelle Raphaël Schebiçki. Il ne fait que rire. Dites-lui : Monsieur, faites-moi l’honneur de dîner chez moi ; il rira, et dites-lui : Monsieur, voici la porte ! paschol ! il rira de même. Il

  1. En Galicie, les jours de Pâques, dans chaque maison, une table ouverte est dressée pour les parents et les amis ; elle est chargée de mets nationaux et autres qu’on a fait préalablement bénir à l’église.