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Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/77

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SASCHA ET SASCHKA.

entendre et une dernière parole fut prononcée. Le jeune homme s’arracha à cette étreinte et s’éloigna rapidement à travers champs, les yeux remplis de larmes ; Marga le suivit du regard, pâle et muette, comme si Saschka eût emporté son âme.

Encore un triste regard sur la maison paternelle, un coup d’œil sur la petite ville vers laquelle se dirigeait sa bien-aimée accompagnée du curé, puis la corne sonore du postillon retentit joyeusement, et Saschka partit de nouveau dans le vaste monde, dans la vie.

Le curé ne tarda pas à faire son entrée chez M. Zagoinski, devant lequel il se déclara tout d’abord grand admirateur de Voltaire, ce qui lui fit remporter la victoire du premier coup. Tout en prenant le café avec le propriétaire du château, en fumant une pipe en signe d’union, et en écoutant patiemment ses dissertations philosophiques, Sascha trouva l’occasion de faire du coin de l’œil un petit signe à Marga, qui le comprit aussitôt. Elle vint se placer à côté de lui et sembla écouter avec attention l’entretien.

« On peut dire de Voltaire qu’il affranchit les peuples du bandeau de l’erreur », conclut Zagoinski en frappant du poing sur la table. Puis il se mit à rouler entre ses doigts des boulettes de pain qu’il lança avec force tantôt contre les vitres, tantôt contre les verres qui se trouvaient sur la crédence et qui résonnaient tour à tour.

« Vous m’excuserez, monsieur le curé, mais je ne puis comprendre la religion sans ce bandeau.

— D’accord, dit Sascha, et il tira de sa poche avec précaution la lettre de son fils.